Architecture judiciaire

Les procès où interviennent des architectes judiciaires attirent toujours beaucoup d’attention. En réalité, ils ne constituent qu’un petit pourcentage du travail d’architecture judiciaire. De nombreuses affaires d’architecture judiciaire ne vont jamais jusqu’au procès. Les 1er et 2 octobre dernier, lors de la 13ème Conférence de la société Advanced Building Skins, les représentants de divers cabinets américains spécialisés ont levé le voile sur ce domaine passionnant.

Le 24 avril 2013, à Savar (Bangladesh), le Rana Plaza, un immeuble de huit étages, s’est effondré en ensevelissant 1 127 personnes. Cet immeuble abritait des commerces et des entreprises de textile. La veille, des fissures avaient été détectées. Un ingénieur local avait alors recommandé de fermer le bâtiment jusqu’à la réparation des dommages. En dépit de cela, le 24 avril, il y avait plus de 3 000 personnes dans l’immeuble, pour la plupart des employées des usines textiles. Elles avaient été forcées de retourner au travail sous la menace de réductions de salaire. À contre-cœur, elles sont retournées sur leur lieu de travail à 8h45. À 9h00, s’est produite la première coupure d’électricité de la journée. Les groupes électrogènes situés sur le toit se sont mis en marche, créant comme d’habitude des vibrations dans tout l’immeuble. Ces oscillations étaient plus fortes que d’habitude, créant la panique chez les ouvrières. Elles ont essayé de sortir du bâtiment mais, avant qu’elles ne puissent atteindre la sortie, le plancher du dernier étage s’est effondré sur l’étage d’en dessous, qui s’est lui même effondré. En moins d’une minute, tout l’immeuble s’était effondré.

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L’analyse judiciaire des photos a pu prouver qu’il y avait une fissure dans l’immeuble.  Comme les empreintes digitales, toute fissure est unique et elle ne peut pas être reproduite. Les fissures se déplacent vers là où la résistance est moindre, c’est-à-dire partout où la structure est faible. Un rapport d’enquête de 400 pages a été publié à la fin mai 2013, donnant la raison suivante pour cet effondrement : le béton utilisé pour construire cet immeuble contenait trop de sable. En outre, pour des raisons d’économie, on avait incorporé moins d’acier dans le béton, ce qui l’avait rendu plus vulnérable aux charges. De plus, cet immeuble était à l’origine conçu pour quatre étages, essentiellement destinés à accueillir des magasins de détail et des bureaux. Par la suite, sans autorisation, quatre étages supplémentaires avaient été ajoutés, où les usines textiles ont emménagé. Ces usines et leurs machines ont créé des charges supplémentaires pour lesquelles l’immeuble n’était prévu. Enfin, les groupes électrogènes diesel de secours étaient situés sur le toit de l’immeuble. Ce rapport recommandait l’emprisonnement à vie du propriétaire du Rana Plaza, reconnu responsable de l’effondrement de l’immeuble en raison d’actes de corruption et et du non respect des normes du bâtiment.

World Trade Center : poussière toxique

L’effondrement du World Trade Center, le 11 septembre 2001, a également été étudié très en détail. La cause de l’effondrement est connue : la chaleur intense a affecté l’intégrité des colonnes d’acier et chacune des tours s’est effondrée après environ une heure d’incendie. Cependant, le sujet des effets des gaz et de la poussière libérés pendant l’effondrement, qui ont causé de nombreuses morts supplémentaires, est très controversé. Lorsque les tours jumelles se sont effondrées, des tonnes de béton, de verre, de moquette, de matériaux d’isolation, d’amiante, de fibre de verre, de plastique, de mercure et d’or provenant des milliers d’ampoules électriques et de plomb provenant des écrans d’ordinateurs se sont transformées en gaz et en poussière. Le tas de ruines a brûlé pendant trois mois, se conduisant comme une usine de produits chimiques libérant des gaz de métaux et d’acides toxiques, selon le rapport DELTA publié en septembre 2003 par l’Université de Californie à Davis.

La dimension judiciaire de l’effondrement du World Trade Center (WTC) ne s’arrête pas à l’enquête visant à déterminer pourquoi les tours jumelles se sont effondrées. Elle concerne également les matériaux qui se sont transformés en gaz et en poussière lors de l’effondrement. Le rapport DELTA a noté en particulier la présence d’amiante, qui était abondamment utilisée au début des années 70, au moment de la construction du World Trade Center. Des tonnes d’amiante avaient été utilisées dans la construction du WTC, en particulier dans les matériaux d’isolation et de protection contre le feu. La poussière et les gaz étaient toxiques pour les travailleurs de Ground Zero, mais également pour les résidents et les employés des immeubles de bureaux voisins.

« les demandes d’indemnisation ont beaucoup augmenté ces dernières années »

En février 2006, le tribunal de district de New York a constaté que l’ancienne directrice de l’Agence américaine pour la protection de l’environnement (EPA), Christine Todd, avait agi avec négligence lorsque, dans les jours suivant le 11 septembre 2001, elle avait déclaré dans un communiqué de presse que l’air du Bas Manhattan et de Brooklyn ne présentait aucun danger pour la santé. On soupçonne que la Maison blanche souhaitait s’assurer que Wall Street rouvre bien le 14 septembre, explique Füsun Türetken dans son article « Breathing Space: The Amalgamated Toxicity of Ground Zero » (un espace de respiration : la toxicité amalgamée de Ground Zero), publié dans le livre « Forensics – The Architecture of Public Truth » (l’analyse judiciaire – l’architecture de la vérité publique).

Les procès où interviennent des architectes judiciaires attirent toujours beaucoup d’attention. En réalité, ils ne constituent qu’un petit pourcentage du travail d’architecture judiciaire. De nombreuses affaires d’architecture judiciaire ne vont jamais jusqu’au procès. Les architectes et les ingénieurs judiciaires doivent néanmoins très bien connaître les aspects légaux car les experts judiciaires interviennent souvent dans des affaires controversées plaidées par des avocats. Selon Carl de Stefanis, président de la société américaine Inspection & Valuation International, les demandes d’indemnisation de dommages dus à une défaillance du bâtiment ont beaucoup augmenté ces dernières années. Environ 80 % des demandes d’indemnisation concernent l’enveloppe du bâtiment, c’est-à-dire le toit et la façade, y compris les fenêtres, les murs et l’isolation. Pendant les vingt dernières années, le nombre et l’étendue des dommages dus à la formation de moisissure ont tellement augmenté que de nombreuses compagnies d’assurance américaines refusent maintenant de couvrir les dommages dus à l’eau ou aux moisissures.

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