La géothermie profonde s’inscrit dans la stratégie énergétique 2050 et soulève de nouveaux défis en termes de gestion des risques. Nos instances politiques souhaitent faciliter le développement de ces projets, mais le marché des assurances en Suisse est-il assez mature pour offrir les solutions et les capacités nécessaires en vue de couvrir les risques inhérents à l’activité et d’en assurer la pérennité ? Partage d’expériences et discussion avec les spécialistes du département Infrastructure & Énergie chez Kessler.
CM : Il y a environ 10 ans, vous avez été mandatés aux prémices du projet mis en place par AGEPP pour l’accompagnement et la recherche de solutions d’assurances. Comment avez-vous abordé ce projet ?
Christophe Tribolet: Si nous faisions un état de toute l’alchimie nécessaire à la réalisation d’un projet de cette envergure, il faudrait une encyclopédie! Plus modestement, il a fallu commencer par construire une relation de confiance avec la direction du projet et éva- luer et anticiper les risques d’un tel chantier, qui est une première en Suisse. En effet, il ne s’agissait pas d’un simple placement de contrat d’assurance mais d’une réflexion à mener sur la mise en place d’une stratégie glo- bale face à un marché en pleine mouvance et que seul un courtier national avec un réseau international pouvait accompagner. Le plus gros capital à cet instant restait la relation humaine car il s’agissait d’une véritable course d’obstacles, remplie d’incertitudes et d’échecs d’étapes qui ne devaient pas laisser de doutes sur la faisabilité d’un tel projet. Et nous y sommes arrivés !
CM: Pourquoi avoir créé une unité spéciale Infrastructure & Énergie chez Kessler ?
Mélanie Coluccia : Le domaine des énergies est une préoccupation mondiale et pour le secteur des assurances en Suisse, les projets et les technologies visant à atteindre la stratégie énergétique 2050 engendrent des discussions accrues et pointues avec les assureurs pour trouver des capacités, obtenir des couvertures et des garanties optimales à des coûts «raisonnables». Grâce à notre équipe d’experts en gestion des risques et assurances pour les entreprises issues du domaine de l’infrastructure et de l’énergie, nous nous focalisons sur ce que le marché peut offrir dans ces secteurs spécifiques. Nous utilisons nos expériences et nos benchmarks* afin de concentrer nos efforts sur l’analyse et la recherche de solutions d’assurances possibles en faveur de nos clients. Notre présence marquée sur le plan national et international (grâce à nos partenaires du réseau Marsh présent dans le monde entier), nous permet de bénéficier d’une vision large du marché et de sortir, parfois, des frontières suisses à la recherche d’expériences et de solutions sur les marchés étrangers.
CM : Alors que deux projets suisses ambitieux ont été abandonnés suite à des événements imprévus (projets de forage à Bâle en 2010 et à Saint-Gall en 2013), Kessler a réussi à mettre en place des assurances spécifiques pour forages profonds en faveur de deux projets en Suisse romande. À quelles difficultés avez- vous été confrontés ?
Italo Baracchini : Les projets de Bâle et Saint-Gall ont influencé très négativement le marché des assurances, mais il faut préciser qu’il s’agissait de forages avec fracturation ou stimulation hydraulique qui comportent des risques sismiques importants. Les deux forages dont nous nous occupons, notamment le projet AGEPP, n’appliquent pas ces techniques. De très nombreuses études ont été faites depuis les sinistres de Bâle et Saint-Gall, et une surveillance sismique permanente a lieu durant le forage. De très nombreuses mesures de sécurité et de prévention sont par ailleurs mises en place avant et pendant les travaux de forage. Il restait à l’expliquer aux assureurs et à les convaincre de couvrir ce risque.
CM : Existait-il un programme d’assurances spécifique pour les forages profonds en Suisse ?
Samuel Egger: À notre connaissance non. Un tel programme d’assurances existe en Europe et ailleurs dans le monde, en particulier en relation avec les forages pétroliers. Nous avons utilisé des modèles européens pour solliciter l’ensemble des assureurs agréés en Suisse. II s’agissait notamment de communiquer clairement sur les limites de couvertures offertes par ce type de contrat d’assurance spécifique aux forages de géothermie profonde, ainsi que sur les risques résiduels que le Maître d’ouvrage devrait assumer en cas de survenance d’un événement majeur.
CM: Comment avez-vous débuté vos démarches en l’absence d’assurances spécifiques en Suisse ?
Samuel Egger: Tout d’abord, nous nous sommes rendus chez Marsh à Paris où des confrères, spécialistes du domaine, nous ont fourni les informations de base pour la mise en place du programme d’assurances. De très nombreux contacts ont suivi avec Marsh UK, Marsh Allemagne et Marsh Pays-Bas. De multiples recherches ont permis de nous familiariser avec le vocabulaire spécifique, les techniques de forage, la maîtrise des risques et finalement avec les solutions d’assurances possibles en Europe.
CM: Est-ce que les assureurs agréés en Suisse ont répondu favorablement à l’appel d’offres ?
Italo Baracchini: Au départ, seul un assureur européen avec succursale en Suisse a accepté d’entrer en matière en assumant 50% du risque, qui correspond à sa capacité maximale de souscription. Du fait de son expérience reconnue dans l’assurance des forages, cet acteur a permis de mettre en place le programme d’assurances évitant ainsi le report, voire l’abandon de ces 2 projets de forage en Suisse romande.
Afin de trouver une solution pour assurer l’autre moitié du risque, nous avons à nouveau sollicité des assureurs suisses et européens pour leur proposer une prise de participation (co-assurance). Pour certains, nous sommes intervenus jusqu’au niveau des directions en insistant sur le soutien nécessaire au développement de projets visant à atteindre l’objectif vers la transition énergétique. Finalement, deux assureurs suisses ont accepté une prise de participation, ainsi que deux assureurs français et australien. Le 100% du risque n’est cependant pas assuré, une part d’auto-assu- rance restant à la charge du Maître d’ouvrage, à laquelle viennent s’ajouter des franchises éle- vées et pour certains postes des sous-limites relativement basses.
CM: Les pouvoirs publics ont défini des objectifs ambitieux pour accélérer la transition énergétique : pensez-vous que d’autres projets puissent voir le jour en Suisse compte tenu des difficultés à les assurer ?
Italo Baracchini : C’est effectivement une pré- occupation majeure. Le marché de l’assurance est tendu et les forages profonds ne sont pas des risques recherchés par les compagnies d’assurance. Les experts Kessler peuvent ici apporter un savoir-faire unique et jouer le rôle de coordinateur entre les exigences du politique et la réalité du terrain. Nous espérons que le bon déroulement des deux forages en Suisse romande permettra de rassurer le marché et prouver aux assureurs qu’il s’agit de risques maîtrisés, et donc assurables.
CM: Et pour les autres énergies renouvelables, comment le marché de l’assurance se présente-t-il ?
Italo Baracchini: À ce jour, pour l’éolien, le solaire, l’hydraulique et d’autres énergies renouvelables, plusieurs assureurs sont actifs en Suisse et en Europe. Nous espérons que ce marché restera ouvert malgré des signaux de durcissement déjà constatés de la part des compagnies qui adoptent une approche plus sélective des projets, que ce soit pour des raisons techniques ou pour une question de politique d’entreprise. Sans les assureurs, le développement des projets d’énergies renouvelables risque d’être entravé.
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Pour en savoir davantage sur la gestion des risques, contactez les spécialistes Kessler par mail à l’adresse melanie.coluccia@kessler.ch ou par téléphone au +41 (0)21 321 60 30.
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