L’aéroport de Genève se dote d’une nouvelle jetée. L’Aile Est – dessinée par le consortium RBI-T composé du bureau Rogers Stirk Harbour + Partners, de l’atelier d’architecture Jacques Bugna SA et des bureaux d’ingénieurs Ingérop Conseil & Ingénierie et T-Ingénierie SA – est destinée aux vols long-courriers. Sa charpente métallique apparente et l’inclinaison de sa longue façade prononcée du bâtiment représentent d’énormes défis techniques.

L’aéroport de Genève est en perpétuelle évolution. Il a clôturé l’année 2018 avec un bénéfice net de 85,1 millions (hausse de 7,9 % par rapport à 2017) et réalisé un chiffre d’affaires de 490,2 millions (+5,1 %). Tendance intéressante, le nombre de passagers augmente (+1,9 %) alors que le nombre de vols fléchi légèrement (-1,9 %); l’aéroport a accueilli 17,6 millions de passagers et enregistré quelque 187162 mouvements (atterrissages et décollages). Ce contraste apparent est en effet une bonne nouvelle et une tendance qui devrait se renforcer à l’avenir: les compagnies se dotent d’avions plus grands et s’attellent à optimiser leur remplissage.

C’est également dans cette vision que s’inscrit la construction de la nouvelle Aile Est que nous présentons ici. Le nouveau bâtiment est affecté prioritairement aux vols long-courriers, les avions les plus grands, et remplacera avantageusement l’ancien pavillon des gros porteurs, construit à titre provisoire en 1975. Les portes d’embarquement maintenant au contact, les salles d’accueil, les espaces de restauration et de shopping, les salons VIP ainsi que la gestion des flux visent à créer un environnement digne de la Genève Internationale et des compagnies opérant ces vols intercontinentaux.

Intégralement financé par Genève Aéroport, le projet de l’Aile Est permettra une mise à niveau des infrastructures en améliorant la sécurité des opérations aéronautiques dans un bâtiment à haute performance énergétique. Par ailleurs, le projet répond aux besoins économiques, touristiques et diplomatiques, tout en visant à consolider l’offre long-courriers. Avec l’Aile Est, Genève Aéroport entend renforcer sa contribution au rayonnement international et à la prospérité économique de la région. Cette structure participera également au développement d’activités et à la création d’emplois.

Exosquelette
Le projet lauréat du concours est signé Graham Stirk de l’agence de renommée mondiale RSHP. Le bureau fondé par Richard Rogers est auteur de projets emblématiques tels que le Centre Pompidou de Paris, l’aéroport Madrid-Barajas ou le Millennium Dôme de Londres. Il a déjà été honoré de nombreux prix, dont la distinction suprême en architecture, le prix Pritzker en 2007. L’équipe de RSHP agit au sein du groupement RBI-T avec l’atelier d’architecture genevois Jacques Bugna ainsi que le bureau d’ingénieurs Ingérop Conseil & Ingénierie, basé à Paris et celui de T-Ingénierie à Genève. Chacun de ces bureaux a d’importantes références tant en Suisse qu’au niveau international, tels que le siège du World Economic Forum à Cologny, les nouvelles entrées et la valise diplomatique du Palais des Nations (ONU) à Genève, la Canopée des Halles de Paris ou le Pont Yavuz Sultan Selim d’Istambul, pour ne citer que les plus récentes.

Le bâtiment dessiné pour l’aéroport de Genève doit d’abord s’affranchir de nombreuses contraintes. La surface disponible est limitée. La Taxi Lane, les immeubles voisins (le bâtiment IATA et du tri des bagages est situé juste derrière et nécessite un accès direct au tarmac), l’Arena, le plafond aérien ou encore la route douanière, ne laissent que peu de liberté au volume.

L’Aile Est, un parallélépipède incliné long de 520 mètres, est soulignée par une ossature métallique élégante. Le reste n’est, apparemment seulement, que verre et transparence. Vue de plus près, la structure tubulaire est imposante, articulée et savamment dessinée. Les éléments primaires s’élancent depuis des pieds au design industriel. Ces pièces en acier, reprennent des efforts d’environ 1100 tonnes par appui. A six mètres de haut, des doubles poutres horizontales se connectent à la tubulure primaire et créent l’appui de la dalle principale. Cette connexion, inexistante sur le marché, a nécessité la création d’un moule et divers essais de validation. La structure s’élève ensuite librement jusqu’à son sommet, à environ dix-huit mètres du sol, où des poutres similaires ferment la structure dans le sens transversal, et reprennent, par sus- pension, les charges des dalles intermédiaires. Cette trame se répète tous les vingt mètres. Le haut de la structure est marqué par un immense tube qui surligne toute la longueur du bâtiment. Tout le concept est là! Cet exosquelette de 4200 tonnes (8000 tonnes d’acier pour l’ensemble de la charpente) au principe statique simple, semble au final relative- ment fin rapporté aux dimensions totales du bâtiment. Less is more! Le talent des grands architectes est souvent celui de faire des choses complexes en leur donnant une apparence simple.

La volonté des architectes est celle de libérer au maximum le volume intérieur de tout élément porteur, d’assurer une très grande transparence et d’offrir aux passagers une vue imprenable sur le tarmac et le Jura. La façade, inclinée de 26°, est totalement vitrée (15’000 m2); seuls de fins raidisseurs viennent rythmer la transparence et soutenir les verres. Encore une fois, cette simplicité apparente recèle un défi technique non négligeable. Chaque demi-verre pèse 1,3 tonnes, ce qui représente une charge de 2,6 tonnes que les raidisseurs doivent assurer.

La structure, primaire et secondaire, ainsi que la façade doivent également être en mesure de reprendre tous les efforts de dilatation. Tous les quatre-vingts mètres, un joint de dilatation absorbe un mouvement de plus ou moins 5 cm. La transparence est quasi

totale, juste ponctuée par les portes d’embarquement. Six d’entre elles sont équipées de passerelles pour accueillir des aéronefs des catégories code C/D/E et F. Quatre sont des points de contact MARS (Multiple Apron Ramp System), à savoir qu’ils peuvent desservir deux avions à la fois.

Pour les passagers en partance, l’Aile Est est connectée au bâtiment principal de l’aéroport par une passerelle de liaison. Les passagers pénètrent dans un espace bénéficiant d’une double hauteur appelé « Processeur », à côté duquel sont positionnés les locaux et les guérites du CGFR (Corps des Gardes-Frontières).

Espace aérien
Le volume intérieur est baigné de lumière naturelle. L’inclinaison de la façade, côté tarmac, crée une autoprotection contre le rayonnement solaire direct. La façade arrière, plus exposée, reçoit des lames brise-soleil. L’absence de porteurs accentue le caractère aérien de la composition. De plus, les éléments de services, les circulations verticales ainsi que les éléments techniques sont tous placés à l’arrière, dans des noyaux situés en dehors du volume primaire dessiné par la charpente. La dalle intermédiaire, partielle et ponctuée de passerelles, semble flotter dans le grand volume.

Les matériaux choisis accentuent le sentiment de fluidité et de légèreté. L’ossature primaire est peinte en gris clair, alors que les éléments structurels secondaires sont de couleur anthracite. Les sols sont habillés de pierre naturelle, les gardes-corps et les parois verticales sont en verre. La palette de matériaux a été choisie pour sa durabilité, son faible entretien et pour fournir un arrière-plan calme et cohérent au mouvement des passagers.

La gestion des flux de passagers – arrivées, départs, transits, contrôle des provenances non-Schengen, visas, etc. – est un élément essentiel, en particulier dans une jetée affectée aux vols long-courriers. En face de chacune des portes est aménagé un sas multifonction qui se développe sur les deux niveaux et facilite le développement des différentes circulations. Ainsi, les passagers qui arrivent s’éloignent des passerelles directement par cette soupape verticale, puis rejoignent un couloir d’arrivée à l’étage supérieur qui longe la façade côté tar- mac, en surplombant les avions stationnés. Les passagers au départ quant à eux, bénéficient d’une vue imprenable sur les avions, le tarmac ainsi que la chaîne du Jura.

Les lames des plafonds actifs, ainsi que certains panneaux vitrés, se fondent en une succession de couleurs qui identifie chaque module de quatre-vingts mètres et facilite davantage l’orientation des passagers le long de la jetée.

Une première phase de prise en main, de tests et de validation auront lieu dès novembre 2019. Le bâtiment sera remis à Genève Aéroport de manière définitive en septembre 2020, une inauguration aura lieu en novembre, alors que l’ouverture au trafic est fixée au 20 décembre 2020. 

Méthodes
Classe mondiale
HRS Real Estate SA mène la construction en entreprise générale. La dimension internationale du projet, sa position au sein de l’aéroport en exploitation ainsi que son architecture unique, imposent des méthodes de travail spécifiques. Plusieurs prototypes à dimensions réelles, notamment pour la char- pente, ont été réalisés afin de valider chaque détail. La certification et la traçabilité de chaque élément, matériau et intervenant sont exigées. L’exploitant doit pouvoir remonter en cas de besoin jusqu’au fournisseur, à l’entreprise exécutrice, voire même jusqu’à l’ouvrier ayant réalisé une certaine tâche et ce en conformité avec les standards de sécurité internationaux les plus élevés.

Afin de pouvoir définir les choix finaux, les tâches et les méthodes de travail, un maximum de lots ont été adjugés longtemps en avance. Le caractère unique de la structure induit une forte interconnexion entre les différents intervenants, de sorte que tout doit être minutieusement et précisément défini avant de commencer les travaux. Pour l’entreprise générale cela implique un très important travail de préparation, de production de plan et d’adjudication à mener de front dans les phases initiales de projet. L’équipe de direction de travaux, d’architectes locaux et d’ingénieurs ont également fait un certain nombre de visites à Londres afin de finaliser le développement avec l’équipe de Rogers Stirk Harbour + Partners engagée sur le projet.
L’environnement du chantier impose également certaines contraintes. Une seule grue à tour est présente sur le site, la majorité des levages se fait par des grues à pneus et les interventions par nacelle. Un passage doit être libre en permanence sous le bâtiment afin de permettre le transport des bagages du tarmac au bâtiment Iata. Ainsi, selon l’avancement et les besoins du chantier les palissades sont déplacées pour laisser passer les véhicules des transports de bagages. Il en est de même du côté tarmac, où trois places de stationnement pour des avions de catégorie code E doivent en permanence être disponibles.