L’introduction du BIM se fait progressivement sur les chantiers romands. L’entreprise Induni a choisi le chantier du nouveau quartier En Gruvatiez à Orbe en tant que projet pilote. Nous avons rencontré les responsables du projet pour faire le point sur cette nouvelle méthode de travail.
Beaucoup en parlent, de plus en plus s’y intéressent et quelques uns l’utilise. Le BIM est un sujet brulant dans le secteur de la construction. La technologie est aujourd’hui arrivée à un bon niveau de maturité et, tant au niveau des architectes et mandataires, qu’au niveau des entreprises totales, générale ou d’exécution, nombreux sont les professionnels qui franchissent le pas, se forment et s’équipent pour adopter cette nouvelle méthode de travail.
L’entreprise Induni est active depuis plusieurs années déjà sur les thèmes liés aux nouvelles technologies et nouvelles organisation de travail, qu’il s’agisse de plateformes collaboratives, outils de gestion de défauts ou mise en place du LEAN. C’est aujourd’hui le BIM qui passe en phase opérationnelle avec un premier chantier pilote qui est en cours de réalisation.
Le quartier En Gruvatiez à Orbe totalise 226 logements dont 73 en PPE. Six immeubles sont distribués sur deux niveaux de sous-sol et un rez-de-chaussée commercial. Sous l’impulsion du Maître d’ouvrage et en étroite collaboration avec la Commune, le quartier répond aux exigences du label OPL (One Planet Living) promu par le WWF.
Nous avons rencontré les responsables du projet pour échanger sur cette expérience. Eric Pusztaszeri, directeur entreprise générale Vaud, Aline Sismeiro Tessier, Cheffe de projet et Jean-Louis Syrotnik, conducteur de travaux et répondant BIM, nous ont reçu sur le chantier alors que les bâtiments commencent à sortir de terre.
Chantiers magazine (CM): Vous avez choisi ce projet comme chantier pilote. Répondez-vous ici à une demande du Maître d’ouvrage?
Eric Pusztaszeri (EP): Non, c’est une initiative interne. Le BIM est un sujet de plus en plus pressant. Certaines nations voisines et même certaines régions de Suisse sont en avance. Nous souhaitons être à la pointe, être capables d’accompagner un Maître d’ouvrage (MO) pour lui démontrer les avantages de la méthode ou répondre à celui pour qui travailler en BIM est une exigence. Ceux qui ne font pas le pas maintenant vont bientôt être perdus, cela va très vite!
CM : A quel niveau avez-vous pu impliquer le Maître d’ouvrage ? Peut-on « vendre » du BIM au MO ?
Aline Sismeiro Tessier (AST) : Le MO de ce projet est également un entrepreneur, avec une mentalité très ouverte et pragmatique. Nous avons eu plusieurs échanges avec lui et il n’a pas souhaité s’impliquer d’avantage dans un premier temps.
EP : Nous agissons ici en entreprise totale. La question des coûts doit donc être abordée non seulement avec le MO mais aussi avec l’architecte et les autres mandataires. Mais en réalité, il faut sortir de cette logique. Le BIM va coûter! C’est un investissement, il faut payer un BIM manager, il faut mettre en place une structure, etc. Mais ce coût doit finalement se retrouver sur le chantier. Nous allons être plus performants sur le chantier. Eviter les collisions et les temps morts et les ouvriers qui restent les bras croisés en attendant une solution ou une décision.
Jean-Louis Syrotnik (JLS) : C’est un message à faire passer, un cap à franchir. Expliquer que parce que l’on met du BIM en place et également du LEAN, nous allons gagner en productivité, en qualité et en sécurité.
EP : Que le MO participe ou non, nous continuons. C’est à nous de le convaincre et de lui démontrer qu’il aura un avantage. C’est la fameuse courbe de Mc Leamy. Le gros de l’effort est déplacé en amont du projet ; construire avant de construire. Il y a plus d’investissement au début du processus. On a maintenant les premiers retours des mandataires qui nous disent : « Ah, c’est super en coordination qu’est-ce qu’on est efficaces ! ».
CM: La mise en route a-t-elle été complexe?
EP: C’est un investissement en temps, en équipement et en forces vives.
JLS : Avec le soutient d’un partenaire spécialisé, nous avons réuni les principaux mandataires techniques et mis en place la convention BIM pour définir les bases communes, les niveaux de détails et d’information nécessaires et tout le cadre technique qui en découle, à raison d’une séance par semaine au début, puis toutes les trois semaines. Plusieurs mandataires étaient impatients d’entreprendre une telle démarche. Les réticences de l’un ou l’autre ont vite été dépassées et un bel esprit d’équipe s’est créé autour du projet.
AST : Passées les premières phases, nous avons commencé à superposer les maquettes architectes et les maquettes des techniques pour mettre en évidence les points de collisions. Chaque semaine, nous avons passé en revue les clashs et avons travaillé ensemble pour les résoudre, dire qui fait quoi, trouver des solutions. En 3D la visualisation est beaucoup plus claire. Ce développement a duré environ six mois. L’ensemble des mandataires joue le jeux. Tous ont la volonté stratégique de passer au BIM, c’est essentiel.
CM : Le gros œuvre est maintenant bien lancé, les bâtiments sorte de terre. Quel est votre premier constat, comment la maquette 3D vous aide-t-elle ?
JLS : Elle nous permet de fiabiliser les études. En termes de plans gros oeuvre, on extrait les plans directement depuis la maquette 3D. Pour ce qui est de la validation des plans, que ce soit de la part des architectes ou des autres mandataires, nous constatons qu’il y a très peu de remarques. Tout a déjà été conçu et validé. Nous produisons les plans plus rapidement et nous les validons plus rapidement et avec moins d’erreurs.
AST : La maquette a l’objectif de nous faire arriver à l’exécution le plus sereinement possible.
EP : Idéalement, lorsque les autres corps d’états vont intervenir, nous de devrions pas avoir de piquage, de sciage ou de forage. Toutes les réservations sont prévues, tous les passages.
AST : Sur ce point il y a également un message à faire passer aux entreprises. Un changement qui pourrait sembler anodin peut avoir un impact sur le travail des prochains intervenants. Le « fait comme ça et on verra plus tard » doit être dépassé. L’approche collaborative prend pied peu à peu.
CM : Et le LEAN vous accompagne dans la démarche.
AST : Oui. Le LEAN est en quelques sortes la traduction du travail de la maquette sur le planning réel de réalisation. Nous avons une vision globale de l’avancement et des projections au jour le jour et sur huit semaines. Cela nous donne des gardes fous supplémentaires et permet de canaliser les efforts, d’avoir les gens au bon moment au bon endroit et de mieux gérer.
EP : Ce sont deux méthodes différentes, qui se rejoignent dans la philosophie. Les deux sont collaboratives, participatives et ludiques. Et les deux visent les mêmes objectifs: mieux travailler, être plus performants, faire moins d’erreurs, etc.
CM : Le BIM, plus de stress ou plus de sérénité?
EP : Il y a une première phase qui génère un stress pour tout le monde au début, pour donner plus de sérénité sur le chantier. C’est un changement de mentalité. Jusqu’ici on laissait de côté certains détails en disant: « on verra sur le chantier ». Aujourd’hui, avec la philosophie BIM on règle tous les détails tout de suite.
JLS : Les sous-traitants doivent être inclus progressivement et les mentalités doivent évoluer. Il faut accepter l’idée qu’à un certain moment le projet est figé.
AST : Le BIM et LEAN sont de nouveaux outils de dialogue, ce dialogue qui s’est un peu perdu ces dernières années avec la toute puissance des emails et les mauvaises habitudes qui vont avec. Lorsque l’on voit l’efficacité que cela nous amène, la participation, la responsabilité réciproque et l’esprit d’équipe qui se créer à la faveur du projet, on se dit: « Pourquoi on faisait pas ça avant? ».0
CM : Le MO se trouve aussi sous pression dès le début. Comment avez-vous vécu cela ?
ATS : Effectivement, cela oblige le MO a valider tous les choix plus en amont. Sur ce chantier nous avons par exemple opté pour des cellules sanitaires préfabriquées. Le MO peut se demander pourquoi il doit choisir les carrelages des salles de bains alors que le terrassement n’est pas encore commencé. Cela demande de l’accompagnement et de l’anticipation.
JLS : Aujourd’hui, ce qui pêche le plus souvent sur les chantiers c’est le manque de prise de décisions, indépendamment du BIM. Si quelqu’un ne sait pas ou ne veut pas prendre de décisions, le BIM n’y change rien, il ne fait qu’anticiper le problème.
EP : Accompagner le MO et dicter le rythme du chantier est notre rôle. Nous vivons un moment de transition technologique et voulons être des moteurs de ce changement. Il y a un effort de communication à faire pour expliquer l’évolution de nos métiers.
CM : Quel est votre plan d’action en partant de ce chantier pilote ?
EP : Nous sommes en train de fonder une charte BIM Induni qui donnera les bases pour les autres projets, pour définir ce que l’on veut au minimum avec la possibilité d’aller plus loin selon les chantiers. Nous devons également accompagner la formation de nos chefs de projets.