Maître d’ouvrage et entrepreneur face aux défauts
Comme on aime le répéter dans le milieu, chaque ouvrage est un prototype. Le bâtiment ne se construit qu’une fois et le droit à l’erreur n’existe pratiquement pas. Lorsque des défauts apparaissent les parties se trouvent face à face. Avant de se lancer dans une confrontation, il est bon faire le point sur les bases légales. Les fondatrices de l’étude JR Droit et Construction, Jennifer et Jessica Renevey, respectivement architecte et conseillère juridique, titulaire du brevet d’avocat, répondent à quelques questions fondamentales.
Chantiers magazine (CM): Quel est le régime légal dont peut se prévaloir le maître d’ouvrage lorsque l’entrepreneur lui livre un ouvrage défectueux ?
Jessica Renevey (Js R): Selon l’article 363 CO, le contrat d’entreprise est un contrat par lequel une des parties (l’entrepreneur) s’oblige à exécuter un ouvrage, moyennant un prix que l’autre partie (le maître) s’engage à lui payer. La première obligation de l’entrepreneur consiste donc à «exécuter un ouvrage», puis à livrer celui-ci au maître. Cela implique pour l’entrepreneur d’effectuer un certain travail, de produire un certain résultat (il s’agit de l’élément typique du contrat) puis de livrer l’ouvrage convenu sans défaut. C’est de cette obligation que découlent les règles légales sur la garantie pour les défauts consacrées aux articles 367 à 371 du Code des obligations (ci-après: CO). Ces articles instituent un régime de responsabilité causale, c’est-à-dire qu’aucune faute de l’entrepreneur n’est nécessaire; il suffit qu’il livre un ouvrage défectueux.
Jennifer Renevey (Jn R): Le système légal de la garantie pour les défauts est de droit dispositif. Cela signifie que les parties peuvent y déroger, notamment en excluant toute garantie ou en prévoyant l’application d’autres règles comme celles de la norme SIA 118. La responsabilité de l’entrepreneur peut donc être conventionnellement étendue, limitée voire supprimée.
Js R : Certaines dispositions restent toutefois impératives. Par exemple, l’entrepreneur reste responsable des défauts en cas de dol ou de faute grave de sa part (art. 100 al. 1 CO), et dans les cas où il a dissimulé le défaut (art. 199 CO par analogie). La norme SIA 118 (dans son intégralité ou partiellement) n’est applicable que si les par- ties l’ont intégrée à leur contrat, de manière expresse ou tacite.
CM : Et si le défaut résulte d’un plan d’architecte ?
Js R: Selon la jurisprudence, l’établissement à titre indépendant de plans est régi par les dispositions sur le contrat d’entreprise. Ainsi, lorsque le défaut résulte d’un plan, la garantie pour les défauts est applicable (arrêt du Tribunal fédéral 130 III 362, consid. 4.1). Le régime de la garantie pour les défauts est également applicable à l’élaboration d’un devis écrit par le planificateur et pour ses propres prestations (ATF 127 III 543 consid. 2.a), au contrat d’entreprise générale et totale (arrêt du Tribunal fédéral 4A_632/2016 du 8 mai 2017 consid. 2.1).
CM: Quelles sont les conditions pour pouvoir invoquer la garantie pour les défauts ?
Jn R: À titre préliminaire, il est utile de rappeler que ce régime ne s’applique qu’aux ouvrages achevés et livrés. Dans le cas où les travaux dus ne sont pas tous effectués, le maître devra mettre l’entrepreneur en demeure de livrer l’ouvrage promis (règles sur la demeure art. 103 à 109 CO).
Js R: Le maître peut se prévaloir du régime de la garantie pour les défauts lorsque quatre conditions cumulatives sont réunies :
- L’entrepreneur a livré l’ouvrage au maître. Le code des obligations ne contient aucune règle sur la procédure de réception de l’ouvrage. Tel n’est pas le cas de la norme SIA 118 qui précise que la procédure de réception débute avec l’annonce de l’entrepreneur au maître qu’il a achevé l’ouvrage (art. 157 SIA- 118). Ensuite, les parties doivent en principe procéder à une vérification commune de l’ouvrage dans le mois qui suit la réception de l’avis (art. 158 SIA-118).
- L’ouvrage est affecté d’un défaut. Tant l’art. 368 CO que l’art. 165 SIA-118 prévoient que l’entrepreneur doit livrer un ouvrage dénué de défaut. Il existe deux catégories de défauts: l’absence d’une qualité attendue et l’absence d’une qualité promise. Par exemple, si l’étanchéité posée laisse passer l’eau, l’ouvrage est considéré comme défectueux. S’il a été prévu la pose de parquet et que du carrelage a été posé, il s’agit d’une absence de qualité promise.
- Le défaut n’est pas imputable au maître (art. 369 CO). Cela peut être le cas lorsque le maître a fourni le plan ou le matériel. Cette condition est à prouver par l’entrepreneur. L’art. 166 al. 4 SIA-118 va également dans ce sens.
- Le maître n’a pas accepté l’ouvrage. Dès l’acceptation expresse ou tacite de l’ouvrage par le maître, l’entrepreneur est déchargé de toute responsabilité, sauf pour les cas de défauts cachés, intentionnellement ou non (art. 370 al. 1 CO).
CM : Qu’entend-on par acceptation tacite ?
Js R: L’acceptation est tacite lorsque le maître omet la vérification et l’avis des défauts prévus par la loi (art. 370 al. 2 CO), en d’autres termes s’il néglige les incombances que la loi met à sa charge. Le maître à le devoir de vérifier l’ouvrage «après la livraison, aussitôt qu’il le peut d’après la marche habituelle des affaires». Il est également tenu à signaler les défauts aussitôt qu’il en a connaissance. A l’expiration du délai de deux ans, le maître perd le droit d’invoquer les défauts qu’il a découverts pendant cette période mais qu’il n’a pas signalés avant le terme de celle-ci (art. 178 al. 1 SIA-118).
CM : Quels sont les droits de garantie ?
Jn R : Lorsque ces conditions sont réunies, l’art. 368 CO permet au maître d’exercer différents droits – alternatifs – de garantie. Le maître peut demander la réfection de l’ouvrage (art. 368 al. 2 CO), lorsque les défauts ne sont pas trop importants et que la réfection est possible sans dépenses excessives. En cas de refus de l’entrepreneur, la réparation peut être confiée à un tiers, aux frais de l’entrepreneur, cela sans accord préalable du juge (art. 366 al. 2 CO par analogie). Il a un droit à la réduction du prix (art. 368 al. 2 CO), en fonction de la moins-value. Ou, il peut exiger la résolution du contrat (art. 368 al. 1 CO) dans le cas où l’ouvrage est particulièrement défectueux. La norme SIA 118 impose au maître d’exiger dans un premier temps de procéder dans un délai convenable à l’élimination du défaut et si la réparation n’a pas lieu dans ce délai, il peut faire valoir ses autres droits (art. 169 SIA-118).
CM: Les maîtres d’ouvrage exigent souvent, lors de la conclusion du contrat, la constitution d’une retenue ou l’établissement d’une garantie bancaire voire d’une assurance. Qu’en est-il ?
Js R : C’est en effet un conseil pratique qui leur est donné. La facture des artisans est établie après l’achèvement des travaux et la réception de l’ouvrage. Une retenue pour les éventuels défauts de construction, l’établissement d’une garantie bancaire ou d’une assurance qui assurerait le paiement des coûts relatifs aux défauts non-visibles lors de la réception des travaux constitue une garantie pour le maître. Cette garantie faite par l’entrepreneur bloque durant deux ans la somme assurée (en général de 5 à 10 % des travaux) (art. 181 SIA-118). Si un défaut est constaté durant cette période, le maître d’ouvrage pourra contacter l’établissement afin d’utiliser cette caution pour la réparation.
Cette garantie apporte une sécurité aux maîtres d’ouvrage pour la réparation d’éventuels défauts même si l’entreprise en question n’est plus active.
Jn R : Lorsqu’un défaut apparaît dans les deux ans suivant la réception des travaux (art. 172 SIA-118), il faudra contacter l’entrepreneur aussitôt. L’annonce des défauts se fera sous forme écrite, accompagnée de photos si possible. Le chef de chantier devra également être averti de la même manière.
Js R: Deux manières de procéder aux réparations seront alors envisageables. Dans la plupart des cas, l’entreprise est toujours active dans son domaine et viendra constater les faits in casu. Dans ce cas-là, si elle reconnaît les défauts, ceux-ci seront remis en état dans un bref délai. Alors que si l’entreprise n’existe plus ou ne reconnaît pas ses torts, le maître d’ouvrage pourra contacter l’établissement qui s’est chargé de la constitution de la garantie bancaire afin de demander une expertise. S’il est constaté que les défauts sont bien avérés, la somme bloquée pourra servir aux travaux de réparations.
Vérification et avis de défaut
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JR Droit et ConstructionFondée par deux sœurs, Jennifer et Jessica Renevey, l’une architecte et l’autre conseillère juridique, titulaire du brevet d’avocat, l’étude JR Droit et Construction propose des conseils juridiques et techniques pour tous litiges en matière de droit de la construction, de l’aménagement du territoire et contrats de construction. L’association de compétences, droit et architecture, permet à cette entité – inédite en Suisse en la forme – d’avoir une vision complète dans ces domaines et offrir des conseils pertinents en la matière. Le regard de l’expert architecte directement sur le terrain peut parfois éviter la mise en œuvre d’une expertise judiciaire coûteuse. Jennifer Renevey: Patrimoine Architecture Sàrl Jessica Renevey: Étude Derville |
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