Consortiums – Quand la COMCO peut-elle infliger une amende?
Consortiums_Dans la construction, certaines PME se regroupent en consortiums dans le cadre de projets. Dès lors, il y a un risque d’exposition cartellaire. Comment peut-on limiter ce risque?
Quels sont les risques juridiques encourus par les entreprises qui se regroupent en consortium? C’est la question à laquelle le Secrétariat Romand (SRL) de la SSE a cherché à répondre en invitant le Prof. Dr. iur. Patrick L. Krauskopf à son «5 à 7 de la construction» qui a eu lieu les 11 et 18 septembre à respectivement Lausanne et Bienne. Vice-directeur de la COMCO jusqu’en 2009, ce dernier a d’abord livré des éclairages passionnants quant aux évolutions en matière de droit des cartels.
Ainsi, la décision «GABA» du Tribunal Fédéral intervenue en 2016 a modifié en profondeur le cadre légal. Avant cette décision qui fait jurisprudence, un cartel était passible de sanctions uniquement pour le cas où il aurait entraîné des conséquences nuisibles d’ordre économique ou social. Dorénavant, la COMCO ne doit plus prouver les effets d’une infraction, mais seule l’existence d’un tel cartel, voire la volonté de vouloir nuire à la concurrence.
Une coopération entre entreprises («consortium») n’est pas uniquement possible dans le domaine de la construction, mais dans tous les secteurs économiques. La construction n’est ainsi pas seule à se retrouver en face d’une jurisprudence quelque peu floue de la COMCO.
PRINCIPES DE BASE
Une entreprise tombe rapidement dans le champ d’application de la LCart: Un simple échange de courriels ou une liste de présence à une réunion peut déjà faire office de preuve qu’il y a eu entente, licite ou non. Mais seuls les cartels dits «durs» entraînent des amendes. Il s’agit d’ententes qui portent sur trois paramètres: prix, quantités ainsi que l’attribution de territoire.
Relativement fréquents dans le domaine de la construction, les consortiums d’entreprises sont donc particulièrement exposés à des risques de se retrouver dans le collimateur de la COMCO. En règle générale, les consortiums réunissant deux ou plusieurs entreprises non concurrentes pour répondre à un appel d’offres auquel elles ne seraient pas en mesure de soumissionner individuellement sont possibles, notamment pour des raisons techniques, logistiques ou financières. Ainsi, lorsque les partenaires ne peuvent réaliser qu’ensemble un projet spécifique, le consortium se justifie d’un point de vue économique. De même, certains maîtres d’ouvrage imposent parfois certaines entreprises dans des projets spécifiques, ce qui ne pose en général pas problème. En revanche, les consortiums ne sont en principe pas autorisés lorsque des entreprises se regroupent alors qu’elles seraient chacune capables de répondre à l’appel d’offres individuellement. Pour autant, certaines entreprises au demeurant concurrentes peuvent être amenées à se regrouper afin d’éviter de mobiliser toutes leurs ressources sur un projet spécifique et de potentiellement devoir renoncer à d’autres projets qui leur permettraient de répartir leur carnet de commandes tout au long de l’année. Un tel consortium entre PME se justifie donc d’un point de vue économique et est, partant, licite. Dans un tel cas, le prof. Krauskopf conseille d’établir régulièrement une planification logistique documentée qui permettra de démontrer le bien-fondé d’un tel consortium.
UNE ENTENTE… MÊME SANS ACCORD
Il y a 20 à 30 ans, des « cartels » étaient parfois conclus dans des accords écrits. Depuis 2004, la COMCO ne doit plus démontrer qu’il existe une convention. Il suffit – pour rentrer dans le collimateur de la COMCO – de se mettre d’accord oralement (téléphone) ou en utilisant des supports électroniques (par SMS, courriel, chat etc.). Toute forme de coopération est ainsi visée par la LCart.
Est-ce à dire que les entreprises d’un même secteur n’ont plus même le droit de communiquer entre elles ou de se réunir? Bien sûr que non. De fait, les PME peuvent se prémunir de manière simple contre les risques cartellaires. Ainsi, Patrick Krauskopf conseille d’établir un contrat de confidentialité (ou NDA – «non disclosure agreement») liant les parties à chaque échange ou réunion. Concrètement, les personnes impliquées s’engagent à ne pas utiliser les informations échangées en vue de la formation éventuelle d’un consortium en dehors de ce cadre spécifique; par exemple à ne pas utiliser les informations reçues pour calculer leur propre offre au cas où le consortium n’aboutirait pas.
SE PRÉMUNIR DES RISQUES
L’avocat conseille de définir dans le NDA un cadre strict des informations pouvant être échangées à chaque étape, les parties impliquées s’engageant à ne pas en sortir. Ainsi, le NDA peut par exemple prévoir que seules des informations portant sur les capacités techniques ou logistiques des parties soient discutées lors de la première rencontre. Partant du principe que la création d’un consortium ne débouche pas après le premier échange, des informations d’ordre financier par exemple peuvent être échangées dans un deuxième temps.
Les NDA peuvent revêtir une forme très simple, par exemple sous forme d’ordre du jour envoyé par e-mail. ll ne s’agit donc pas pour les PME d’engendrer un «monstre bureaucratique», mais de se prémunir contre les risques cartellaires en faisant respecter ces engagements NDA en leur sein. Si un dérapage devait malgré tout se produire, ce type de contrat de confidentialité témoignera de leur bonne volonté, de même que toutes les actions qu’elles auront entreprises pour se prémunir contre ce type de risque (information dans le règlement et l’intranet d’entreprise, sensibilisation et formation des collaborateurs tous les 18 mois environ etc.). Dans tous les cas, l’entreprise veillera au surplus à prendre immédiatement des mesures correctives en cas de dérapage.
TENDANCE AU DURCISSEMENT
Les cantons et communes sont toujours plus sensibilisés aux questions cartellaires en tant que maîtres d’ouvrage publics. Dans un futur proche, elles devraient disposer de nouveaux outils informatiques très performants, déjà utilisés dans certains pays. En rassemblant des données, ces algorithmes permettent par exemple de retracer qui a obtenu quel mandat et à quelles conditions. De même, les éventuelles formulations («wording») similaires utilisées par différentes entreprises lors d’une soumission sont détectées et les maîtres d’ouvrage notifiés par une alerte en cas de similitude suspecte. Le nombre d’entreprises dans un périmètre spécifique potentiellement en mesure de répondre à un appel d’offres peut également être établi, puis comparé avec le nombre de soumissions réellement reçues.
L’arrivée de ces logiciels devrait accroître la pression sur les entreprises. Autant donc prévenir les risques en appliquant des règles de conformité claires et en veillant à sensibiliser et former l’ensemble des collaborateurs à ces questions.
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