Les Noces de Figaro de Mozart, Les Quatre Saisons de Vivaldi, Thaïs de Massenet et le Nabucco de Verdi. Quatre extraits de ces opéras ont été exécutés par l’orchestre de l’Accademia del Teatro alla Scala avec la participation de son cœur de voix blanches, pour marquer la fin de la mise en place de l’échafaudage et le début des travaux de rénovation de la Torre Velasca, au centre de Milan. Orchestre et invités était réunis sur la terrasse au sommet de la tour. L’événement, retransmis en direct et suivi par des milliers de personnes, en dit long sur l’attachement des Milanais à la culture et au sentiment d’appartenance que celle-ci leur procure. Il m’est arrivé de tomber sur une foule de citoyens communs, habillés pour les grands soirs, convenus spontanément devant un écran géant installé à deux pas de la Galleria Vittorio Emanuele II pour suivre en religieux silence l’ouverture de la saison d’opéra. Moteur économique du pays, capitale de la mode et du design, Milan chérit son identité unique. Le style se traduit en industrie, en finance, en communication ou en architecture et chacun sent qu’il fait partie de ce tout en perpétuel mouvement.
La Torre Velasca, construite entre 1956 et 1958 et haute de 106 mètres, est l’un des premiers gratte-ciel d’Italie. Son architecture liberty-post rationaliste et brutaliste se distingue par une silhouette en champignon, les étages 19 à 25 étant plus larges que la base. La symbolique rejoint le pragmatisme. La place sur laquelle s’appuie la tour est relativement exiguë; commerces et bureaux trouvent place dans le tronc étroit, les logements gagnent en surface et volume dans le bloc supérieur. Au moment de sa construction, le secteur était encore truffé de ruines et de bâtiments délabrés frappés par les bombardements de la deuxième guerre mondiale ; construire un gratte-ciel ici était un incroyable message d’espoir et de relance. Il n’y avait à l’époque pas assez d’acier et de verre en Italie pour assurer une telle construction; l’option de la construction traditionnelle en maçonnerie et béton armé répondait aussi à un impératif économique. Sans imiter un langage préexistant ou une architecture internationale, la tour affirme son appartenance à la ville, invente une forme inédite et esquisse un clin d’œil stylisé aux remparts du Château des Sforza. Certes, elle ne rivalise pas en beauté avec le Duomo, les palais de la Renaissance ou d’autres merveilles antiques dont l’Italie regorge. Certains la qualifient d’horreur. Elle est pourtant devenue un symbole: l’entrée de l’Italie dans la modernité, la volonté d’une croissance et d’un regard tourné avec confiance vers l’avenir. Elle est le marqueur architectural de ce que l’on a ensuite appelé le miracle économique italien; la transformation d’un pays basé sur une économie essentiellement agricole en l’une des sept premières puissances mondiales.
L’orchestre de la Scala et les Milanais ont salué la Torre Velasca, emballée dans son échafaudage, et la retrouveront entièrement rénovée en 2023. La Lombardie ayant été la région la plus touchée d’Italie par le coronavirus, promoteurs et autorités donnent à l’opération la portée d’un message de relance. La victoire de la Nazionale de foot à l’Euro2020 contre l’Angleterre le 11 juillet dernier à Webley et l’incroyable butin de médailles récolté aux JO de Tokyo (dont celle du 100 m) n’ont fait que renforcer le sentiment d’une unité et d’un enthousiasme retrouvé lié à l’idéal de tourner la page sur la saison noire de l’histoire du pays.
Le 19 juin dernier, le canton de Vaud et la ville de Lausanne invitaient la population à visiter le chantier du futur pôle muséal Musée de l’Elysée-MUDAC. Pascal Broulis, chef du Département des finances et relations extérieures du canton de Vaud, a déclaré que ces visites doivent permettre à la population lausannoise de découvrir le site et son architecture et ainsi de s’approprier les lieux. La vitalité économique et culturelle d’une ville ne se fait pas sans cultiver le sentiment d’appartenance de ses citoyens. Milan le sait, Lausanne y travaille.
Info: torrevelasca.it