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Alors qu’au début des année nonante, j’étais apprenti dessinateur en bâtiment dans un jeune bureau lausannois, j’ai été confronté à la problématique des oppositions sans fin. (C’est ma charpente)
Il s’agissait d’un projet simple. Une maison familiale. Une villa de taille moyenne, un brin moderne pour l’époque avec des briques de parement en façade. Des lignes tranquilles, sans extravagance. Deux niveaux, un appartement principal de 160 m2 en duplex et un logement d’appoint de 70 m2 à l’arrière. Certes, le lieu était privilégié – territoire de la commune de St-Sulpice et terrain courant jusqu’aux rives du lac – mais déjà construit de part et d’autre. L’un des voisins, sans que le projet ne le prive de vue ou empiète sur ses droits de passage, s’y est opposé. J’ai ainsi dessiné et redessiné les détails et modifications à maintes reprises, jusqu’au jour béni de l’obtention du permis de construire et du début des travaux. Trois ans s’étaient écoulés depuis mon premier dessin et j’entamais ma dernière année d’apprentissage. Enfin du mouvement sur mon chantier !
La grosse pelle, le terrassement, puis la grue, les coffrages, le béton; la maison a rapidement pris forme. Voir tous les éléments se mettre en place, de la précision des briques de parement à la logique des installations techniques, a été source de grand enthousiasme. L’un des derniers plans conçus par mes soins (au Rotring) était celui de la charpente. Le jour où ce dessin a pris vie sous mes yeux a été le sommet de ma (brève) carrière de dessinateur! Pannes sablière, intermédiaire et faîtière, l’alignement de chevrons puis les poutres pour les ouvertures, tout était là, en vrai! Wow! « C’est ma charpente ! » Et dire que si le voisin s’était montré encore plus tenace je n’aurais sûrement jamais rien vu de tout ça !
Simples immeubles ou plans généraux, de nombreux projets immobiliers sont avortés en Suisse romande. Que les forêts de grues qui pointent ici et là ne vous trompent pas, après des années plus que positives, le marché stagne et baisse. La tendance à l’opposition systématique aux nouveaux projets en zone urbaine est à la mode, ce qui engendre des coûts considérables.
Certains utilisent même l’outil de l’initiative populaire communale pour remettre en cause non seulement des projets de construction, mais également l’affectation de parcelles légalisées. D’importants projets sont déjà passés à la trappe et les terrains sur lesquels ils devaient naître sont devenus inconstructibles, bien qu’initialement situés en zone à bâtir. Double perte fatale pour les propriétaires de parcelles, atteinte à la sécurité du droit, déficit du processus de densification urbaine et bien sûr, études, développements, projet architectural, énergie, temps et investissements balayés en un instant. Durant cette période, les entreprises ne travaillent pas et les logements nécessaires ne sont pas construits. La pénurie de logement est renforcée, ce qui crée une pression haussière sur les loyers. Et dans un bureau, un apprenti se demande peut-être s’il verra un jour son plan prendre forme.
C’est ma charpente!
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