Lors du dernier salon Intermat de Paris, la numérisation et le BIM ont fait l’objet de plusieurs conférences et séminaires. De la conception architecturale à la gestion du chantier, des fabricants de matériaux aux constructeurs de machines en passant bien sûr par les entreprises totales et générales ainsi que les PME et artisans, tous les acteurs du secteur sont concernés. Le responsable du développement des écosystèmes BIM pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique d’Autodesk Emmanuel Di Giacomo s’est exprimé à cette occasion devant un parterre de journalistes et de spécialistes. Les questions ont fusé et la position privilégiée de cet interlocuteur de marque offre un point de situation fort intéressant. Synthèse.
Tout le monde en parle, beaucoup l’utilisent, peu le maîtrisent. S’il fallait faire le point de situation de l’implantation du BIM au sein des bureaux techniques – architectes et ingénieurs confondus – ainsi que dans les grandes entreprises de construction, ce serait sans doute une formule appropriée. Si beaucoup ont compris les potentiels de l’outil et intègrent cette nouvelle approche, il reste beaucoup d’acteurs de la construction à se montrer réfractaires face à la nouveauté. Pourtant, dans notre univers hyper-connecté difficile d’imaginer qu’un secteur aussi important puisse rester à l’écart. Au-delà de ces quelques nostalgiques du Rapido et de la lame de rasoir, l’innovation gagne chaque jour du terrain et l’industrie est en ébullition.
Autodesk semble s’imposer comme le leader des solutions informatiques pour le BIM, notamment grâce à son logiciel Revit, plateforme pluridisciplinaire 3D « orientée objet » pour les métiers de la construction. Le chiffre d’affaire annuel de l’entreprise américaine est d’environ 2,5 milliards de dollars dont les 60% proviennent de son département AEC (Architecture Engineering and Construction). Les activités du département AEC se répartissent à hauteur de 35% dans l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud, 35% en Europe, et 30% au Moyen-Orient et en Asie.
Responsable du développement des écosystèmes BIM pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique au sein d’Autodesk, Emmanuel di Giacomo a une position privilégiée pour observer le développement du BIM en Europe. Il a répondu avec enthousiasme et précision aux questions des journalistes et spécialistes rencontrés lors du dernier salon Intermat de Paris.
Quel est le niveau de développement du BIM dans le Monde ?
Emmanuel di Giacomo : Les Etats-Unis ont le plus fort taux d’utilisation du BIM au niveau mondial. Aux alentours de 80-85 % des projets sont faits en BIM, et 75% à 80% avec notre logiciel Revit. Pourtant, aux Etats-Unis il n’y pas d’obligation légale de recourir au BIM. Cependant de grands maîtres d’ouvrage comme l’United States Army Corps of Engineers, la GSA (General Services Administration), qui gère tout le patrimoine foncier du gouvernement, imposent l’usage du BIM, de même les universités de plusieurs Etats. Poussé par le souci de rationaliser la gestion et l’entretien des bâtiments, Singapour a imposé, dès 2002, la livraison d’un fichier IFC (*) pour le dépôt des permis de construire. Pour l’Europe, nous avons coutume de nous référer à la vente de nos solutions BIM. Les premiers pays utilisateurs sont le Royaume-Uni et l’Irlande. C’est lié en grande partie à la réglementation qui impose de travailler en BIM pour les bâtiments et les infrastructures financés par des fonds publics totalement ou partiellement. Les pays germaniques, Allemagne, Autriche, et Suisse viennent ensuite, et enfin la France et les pays du sud. Certains gouvernements ont exprimé clairement la volonté de ne pas imposer l’usage du BIM, à l’opposé de la plupart des grands pays développés.
« Etats-Unis plus de 80 % des projets sont faits en BIM »
Quel est le degré d’équipement des professionnels intervenant dans le BIM en Europe ?
E.G. : Les architectes, qui ont été en avance car ils utilisaient des plateformes 3D notamment sur des ordinateurs Macintosh, ont connu une période de retour en arrière avec des technologies 2D sur PC. Ils se sont remis à travailler de manière semi-traditionnelle. Certains architectes sont sensibles à des idées erronées telles que « le BIM nuit à la créativité », « l’échange des données pose des problèmes de propriété intellectuelle », etc. Mais surtout, nombre d’écoles d’architecture n’enseignent pas le BIM comme il le faudrait. Même si la profession est encore un peu réticente, toutes les grandes agences d’architecture qui travaillent à l’international sont équipées pour le BIM. Il en est de même avec les bureaux d’études. Les grandes structures sont équipées mais, en France par exemple, 90% des bureaux d’études comptent entre un et quatre salariés. Nous avons du mal à motiver les petites entités. Les bureaux d’études structure sont habitués depuis quelques années à travailler en 3D. Le pas est moins difficile à franchir pour eux que pour les bureaux d’études fluides, CVC , etc.
Qu’en est-il des entreprises ?
E.G. : Les majors français, Vinci, Eiffage, Bouygues, se sont intéressés très tôt à ce que l’on appelait la « maquette numérique ». Observant ce qui se passait dans les pays anglo-saxons, ils ont compris qu’avec le BIM ils pourraient réduire les temps de construction, mieux maîtriser des coûts, les quantités, le phasage du projet, les méthodes. Ils ont testé les fournisseurs de logiciels. Il n’était pas question que l’un d’entre eux reste à la traîne. Il demeure la question des PME du bâtiment. Il reste à faire un gros travail d’information et de diffusion.
La préfabrication s’est-elle impliquée dans le BIM ?
E.G. : Les producteurs d’éléments préfabriqués ont développé des objets de bibliothèque utilisable directement dans la maquette numérique. Celle-ci peut piloter les process de préfabrication, les machines numériques qui vont permettre de couper des aciers, de couler du béton, etc. Cette logique peut s’étendre à la logistique, à la livraison des éléments préfabriqués sur le chantier, souvent en connection avec des ERP. On va même jusqu’à imprimer le code barre du boisseau d’acier, de la prédalle, du prémur pour savoir à quel endroit on va les déposer sur le chantier.
Et sur le chantier ?
E.G. : Il y a des applications, connectées au BIM, relatives aux éléments de la construction à venir. Par exemple une application qui permet de calepiner les coffrages perdus, pour savoir où et comment les placer sur le chantier, ou encore une autre qui permet de voir en réalité augmentée les panneaux de façade avant qu’ils ne soient mis en place. Nous avons un accord avec Daqri, constructeur de casques intelligents qui permettent de visualiser en réalité augmentée tout ce qui va être implanté sur un plateau nu qui vient d’être coulé : chauffage, climatisation, équipements contre l’incendie, cloisons, etc. D’autres applications concernent la sécurité des personnes. Nous avons aussi des accords avec un fabricant de gilets connectés. Le compagnon qui s’approcherait d’une trémie non protégée est prévenu par une vibration. Le chef de chantier, pour sa part, peut prendre connaissance de la position des membres de son équipe, avec des couleurs qui indiquent s’ils sont potentiellement en danger.
Quel profit peut-on tirer du BIM lors des phases de mise en œuvre du béton ?
E.G. : On va pouvoir anticiper le montage du chantier, l’arrivée des engins, simuler son avancement. On pourra gérer totalement en BIM les fonctions des matériels, la rotation des banches, le coulage des murs, le montage d’échafaudages particuliers pour construire des parties de bâtiment complexes. La maquette numérique conférera aux Plan d’Installation de Chantier non seulement la troisième dimension, mais aussi la quatrième, le temps, et la cinquième, les quantités. On pourra connecter ce dispositif à des plannings, y ajouter du « lean management » si on le souhaite. La maquette numérique sera accessible dans des endroits prévus, comme dans la traditionnelle « cabane à plans », mais aussi sur des tablettes individuelles et sur des smartphones.
Comment le BIM peut-il aider au contrôle de la construction ?
E.G. : Dans certains pays des armées de drones « se lèvent » tous les matins, scannent des zones définies pour contrôler l’état d’avancement du chantier par rapport à la maquette numérique, et éventuellement déterminer des pénalités de retard… Les drones peuvent aussi aider au calcul des cubatures pour la réalisation de fondations. Ils peuvent encore apporter des outils aux ouvriers à l’endroit où ils auront à s’en servir. Autre exemple : si l’on veut poser une charpente métallique sur une construction en béton achevée on peut la scanner et envoyer le nuage de points au bureau d’études de la charpente afin qu’il vérifie les différences éventuelles entre ce qui a été réalisé et ce qui était prévu. On peut ainsi réajuster les cotes de la charpente.
Le chantier de l’avenir ?
E.G. : Il sera totalement numérique, avec de la réalité augmentée, des hologrammes très certainement. Ça commence déjà. La difficulté c’est la démocratisation des outils. Il y aura une phase intermédiaire avant l’utilisation de casques à 15 000 €. En attendant, la maquette numérique est visualisable sur une tablette ou un smartphone.