Stabilisation de sols

En étroite collaboration avec le Laboratoire de mécanique des sols de l’EPFL, la division infrastructures du canton de Vaud a réalisé un projet pilote dans le nord-vaudois : la stabilisation d’un terrain par injection de ciment bactérien.

 

 

 

 

 

En janvier 2018, la Division Infrastructures de la Direction générale de la mobilité et des routes du Canton de Vaud (DGMR) est appelée à intervenir d’urgence lors d’un important mouvement de terrain entre Mathod et Rances non loin d’Yverdon-les-Bains. Quelque 2000 m3 de terre avaient envahis la route, bloqué cette dernière sur une centaine de mètres et créé de grands désagréments. Une fois les mesures d’urgences prises, le site devient l’objet d’un intérêt tout particulier. Approché par le Laboratoire de mécanique des sols de l’EPFL, le canton accepte de mener ici un projet pilote.

Les chercheurs utilisent des bactéries naturellement présentes dans les sols, qu’ils lyophilisent et stimulent avant de les mélanger à un liquide contenant de l’urée et du calcium selon une composition développée à l’EPFL. Pour engendrer ces cristaux de calcite, plusieurs réactions chimiques sont nécessaires. Les agents déclenchant sont des Sporosarcina Pasteurii. Dispersées sur le terrain, elles s’attachent aux grains de sable ou de gravier, se multiplient et forment finalement un film adhésif et protecteur. Le rôle de ces micro-organismes sera alors de jouer les entremetteurs entre de l’urée, une molécule de synthèse hautement soluble et non toxique, et du calcium qui sont pulvérisés sur la surface.

Les bactéries décomposent les molécules d’urée pour se nourrir et améliorer leur environnement. Se faisant, elles libèrent du carbonate qui se lie avec le calcium pour former des cristaux de calcite. Ceux-ci s’accrochent aux particules du sol et grandissent en nombre et taille. Ils peuvent atteindre plusieurs centaines de micromètres. L’enzyme d’uréase, également libérée par les bactéries durant leur digestion, se charge d’accélérer le processus. Un gain de temps non négligeable – la réaction est 1000 fois plus rapide – qui permet d’avoir le résultat escompté en quelques heures ou quelques jours. Ces enzymes ont même le pouvoir de répliquer toutes seules la décomposition des molécules d’urée une fois les bactéries dégradées.

Différents niveaux de cimentation peuvent être créés et utilisés selon les besoins du projet de construction. De faibles quantités de calcite permettent d’obtenir une résistance suffisante pour que les sols graveleux résistent à des forces de cisaillement lors d’importants tremblements de terre ou apporter des solutions aux problèmes de stabilisation des pentes ou de restauration de fondations existantes.

De la théorie à la pratique

Une fois les 2000 m3 de terre évacués, une première phase terrassement est réalisée. Le talus est rabaissé pour passer de 33 degrés de pente à environ 20 degrés. Un palier intermédiaire est également dessiné. Ce dernier joue un certain rôle dans la stabilisation naturelle du terrain et facilite le travail des phases successives ainsi que l’entretient à long terme.

Des tranchées drainantes dirigent l’eau vers une ligne de récolte et les canalisations sous-jacentes. Ensuite, une petite machine réalise des forages d’environ 10 centimètres de diamètre sur une profondeur d’une dizaine de mètres. C’est là qu’est versé le ciment bactérien. La réaction est immédiate. Le liquide remplis le forage et se diffuse aussi partiellement dans le terrain. Les cristaux se forment progressivement et le terrain s’en trouve stabilisé.

Les avantages de cette méthode sont nom- breux. Ce bio-ciment peut être produit sur place, à moindre coût, à température ambiante et avec un besoin en énergie limité. La méthode est peu intrusive et ne fait appel qu’à des moyens légers. Alors qu’une inter- vention traditionnelle se serait traduite par la construction de murs et de longrines ou la réalisation d’ancrages, avec un important apport de béton et l’engagement d’engins lourds, c’est ici un site naturel amélioré qui est restitué aux usagers. L’introduction d’élé- ments lourds et peu esthétiques est évitée. Les coûts globaux s’avèrent inférieurs.

Après plusieurs mois d’observation le DGMR et l’EPFL se déclarent très satisfaits des résultats obtenus et même enthousiastes du potentiel de la méthode. Le site d’essais s’est révélé idéal tant par ses dimensions (env. 100 mètres de long par 20 mètres de profil) que par la nature même du sol (sableux granuleux et pas trop gras). Si au niveau cantonal la majorité des risques de glissements concernent d’autres types de sols pour lesquels ce bio-ciment n’est, pour l’heure, pas adapté, à l’échelle mondiale son potentiel est énorme. La densification urbaine et la pression démographique poussent les constructeurs à s’implanter sur des terrains de qualité moindre qui demandent souvent un gros travail de stabilisation et de renforcement. L’érosion des sols est également un sujet majeur. Les techniques actuelles (injection de béton, construction de profondes fondations, etc.) peinent à remplir les attentes en matière d’impact environnemental, de rentabilité économique ou encore de facilité d’utilisation. Ce bio-ciment développé à l’EPFL par Dimitrios Terzis et Lyesse Laloui, est biologique, facile à mettre en place et peu onéreux. Les recherches se poursuivent et sans doute d’ultérieures améliorations seront apportée à cette technique très prometteuse. 