L’an dernier, le Conseil national a révisé la loi sur les marchés publics, afin d’harmoniser notamment les législations fédérale et cantonale. Le projet doit être encore avalisé par le Conseil des Etats, mais il y a fort à parier que les nouveaux principes généraux seront désormais d’ordre économique, écologique et social. Toujours prête à anticiper le mouvement, Infra Suisse, l’organisation professionnelle des entreprises actives dans la construction d’infrastructures, a donc décidé de proposer ce sujet à la réflexion de ses membres et invités dans le cadre de sa Journée Infra qui a eu lieu le 5 février dernier à l’EPFL.

 

Près de la moitié de tous les marchés publics concerne le secteur de la construction, représentant quelque 20 milliards de francs suisses par année. C’est dire si le sujet de la nouvelle loi fédérale sur les marchés publics, qui devrait entrer en vigueur dès la mi-2020, est prépondérant pour les professionnels. Infra Suisse l’a bien compris et a réuni une palette d’intervenants pour aborder le sujet selon différents axes. D’un point de vue juridique, la révision ne devrait guère changer la situation, mais force est de constater que la Suisse, Confédération et cantons confondus, a les mains liées. Comme l’explique Jean-Baptiste Zufferey, Professeur de droit administratif à l’Université de Fribourg : «Les collectivités publiques en Suisse ont l’obligation de transposer dans leur réglementation les engagements internationaux de la Suisse. Et les solutions proposées sont souvent prédéterminées par les standards internationaux.» Selon le Professeur et Président de l’institut du droit de la construction, la révision ne déclenchera donc pas de révolution mais proposera notamment comme nouveauté la possibilité de recours systématique contre la décision d’adjudication sur la base de certains critères.

Qualité et innovation reconnues
Après le protectionnisme des années 80 et le néolibéralisme des années 90, place au développement durable, véritable objectif d’Etat. Gouvernance, qualité, durabilité et innovation, tels sont désormais les mots clés. Ainsi, l’Etat se doit d’adopter une stratégie de responsabilité sociale entrepreneuriale (Corporate Social Responsability). La concurrence axée sur le prix devient moindre pour reconnaître l’importance de la qualité et de l’innovation. «Les soumissionnaires innovants attirent expressément l’attention du pouvoir adjudicateur sur le fait que l’on pourrait avoir mieux et plus innovant si la demande était moins gouvernée par le prix», déclare Marc Steiner, juge au Tribunal administratif fédéral II. La solution viendra sans doute par une gestion consciente des conflits d’objectifs.

En effet, l’analyse des trois époques historiques décrites plus haut , met en évidence que les critères de développement durable, qui devraient maintenant prendre l’ascendant, correspondent à des objectifs politiques de protection de l’environnement et d’innovation écologique. Dans cette logique, la concurrence axée uniquement sur le prix a une importance marginale et c’est plutôt la corrélation entre qualité et innovation qui est reconnue. La formulation des appels d’offre devra donc à l’avenir être structurée différemment et s’orineter majoritairement vers un appel d’offre fonctionnel plutôt que vers un descriptif minutieusement préstructuré. « Face à une offre basse, l’administration sera tenue de poser des questions au concurrent », explique encore le Juge Steiner. Comment fait-il? Quelles solutions propose-t-il? Y-a-t’il une innovation intéressante dans la proposition? ». Cette nouvelle approche devrait orienter les adjudications vers des solutions de plus haute qualité. L’époque du « il n’y a que le prix qui compte » est terminée!. Tout du moins théoriquement, car il faudra sans doute compter plusieurs années avant que les mentalités ne changent. Une compétition désormais axée sur la qualité demande plus de savoir et de compétences au sein des pouvoirs adjudicateurs. Là encore, l’évolution ne se fera pas en un jour. Face à une audience conquise et agréablement surprise tant par sa sympathie que par son franc parlé, Marc Steiner se mue alors en leader: « C’est grâce au secteur de la construction que les règles ont changé en Europe! En Suisse également, economiesuisse ne voulait introduire la durabilité comme critère prépondérant, ma la construction oui! La construction représente 20 milliards à savoir la moitié des marchés publics. C’est un secteur fort et fondamental qui mérite d’être plus écouté! ».

 » la compétition est désormais axée sur la qualité »

Pour concrétiser ces différents propos, parole a été donnée à deux des adjudicateurs les plus importants du pays, à savoir les Chemins de Fer Fédéraux (CFF) et l’Office fédéral des routes (OFROU). En présentant le projet «Léman 2030», Bernard Pittet, directeur adjoint de ce programme auprès de la régie ferroviaire, a mis l’accent sur l’opportunité inédite que constitue «Léman 2030» en termes de développements architecturaux et urbains. Sans oublier l’aspect humain: «La gestion de ce programme d’envergure repose sur trois piliers : la gouvernance stricte, le recours à une bonne planification et gestion des risques, ainsi que les collaborateurs. Ces derniers contribuent en effet à ce que les besoins des clients finaux soient compris et satisfaits.» L’objectif de Léman 2030 est de créer un véritable RER entre Lausanne et Genève avec une cadence au quart d’heure et une capacité augmentée à 100’000 voyageurs/jour (ndlr: moins de 25’000 voyageurs ont été enregistrés en 2000). D’énormes investissements sont nécessaires pour assurer ce développement. Quelque 1,2 milliard de francs de travaux sont par exemple prévus pour la modernisation et l’agrandissement de la gare de Lausanne. Un défi formidable alors l’exploitation se doit d’être toujours maintenue.

Transparence et égalité de traitement garanties
En référence au thème choisi pour cette journée (« Adjudication des marchés publics, clarté ou loterie? »), Jean-Bernard Duchoud, vice-directeur de l’OFROU, a d’emblée souhaité tordre le cou aux préjugés. « Le seul point commun que je voit entre les adjudication de l’OFROU et la loterie, a-t-il dit, est que 100% des gagnants ont tenté leur chance! L’OFROU est tenu de respecter les lois internationales et nationales. Ces prescriptions imposent dès lors que les marchés soient adjugés à l’auteur de l’offre la plus avantageuse sur le plan économique et pas obligatoirement la moins onéreuse.»

Acteur incontournable des marchés publics, l’OFROU a conscience de sa responsabilité. Il s’efforce de garantir transparence, égalité de traitement et confidentialité dans le cadre de procédures claires et uniformes. Pour garantir cette unité de traitement et de procédure, l’OFROU a édité un manuel des marchés publics permettant aux soumissionnaires de bien comprendre les appels d’offres et les dispositions légales s’y référant. Les documents d’appel d’offres présentent pour leur part de manière détaillée l’objet de l’appel d’offres. «Les soumissionnaires ont ainsi une vision complète et transparente des critères servant à l’évaluation de leur offre», poursuit Jean-Bernard Duchoud. L’évaluation des offres est également soumise à un contrôle strict et permanent. «L’indépendance et l’impartialité de l’ensemble des personnes impliquées doivent être garanties durant toute la procédure», explique le vice-directeur. A ces mesures s’ajoutent encore des critères de qualification, permettant de juger si le soumissionnaire est capable d’exécuter le mandat. Enfin, informer les soumissionnaires des résultats de l’évaluation, en proposant notamment des séances de débriefing, fait également partie de la démarche de l’OFROU.

Dernier orateur de la journée, le Chanoine de l’Abbaye de Saint-Maurice Thomas Rödder n’a pas hésité à démontrer certaines similitudes entre son Abbaye et les entreprises actives dans la construction d’infrastructures en mettant en valeur le binôme indissociable que sont la valeur et la pérennité. «Nous avons la responsabilité de connaître notre propre histoire, d’assurer le présent et de préparer l’avenir. Nous poursuivons ainsi des objectifs communs en assumant notre responsabilité de répondre aux défis pour construire l’avenir. Mais gardons à l’esprit la valeur de la pérennité et la pérennité de nos valeurs ! » Une note spirituelle bienvenue dans un milieu dominé par un pragmatisme à toute épreuve.

La Journée Infra est le rendez-vous principal annuel des constructeurs suisses d’infrastructures, dans le cadre de laquelle politiques, maîtres d’ouvrages, concepteurs et entreprises de construction échangent chaque année leurs points de vue sur la politique en matière d’infrastructures et de transports. La prochaine Journée Infra aura lieu le 4 février 2020.