La ville de 15 minutes. Habiter, étudier, travailler, faire ses achats, se soigner et s’amuser dans un rayon de quinze minutes, tel est le concept dont le Prof. Carlos Moreno se fait le prophète. Concentrer les besoins essentiels et les rendre accessibles à pied ou à vélo afin de décarboner la ville, apaiser le trafic ou annuler la pendularité. Utopie ?

Si le modèle urbanistique prédominant le siècle passé visant à diviser la ville en quartiers à la fonction définie (habitat, commercial, activités, loisirs) avait une logique apparente, il a aujourd’hui prouvé ses limites. Les routes engorgées, les transports publics débordés et l’exténuante pendularité sont devenus la norme. Après avoir passé d’interminables heures dans les bouchons ou les trains, comment ne pas être séduit par l’idée de disposer de toutes les commodités à moins de quinze minutes de chez soi. C’est la promesse de la ville du quart d’heure, concept urbanistique cherchant à réduire les déplacements en concentrant dans des quartiers-villages les services essentiels pour les rendre accessibles à pied ou à vélo.

Le Professeur Carlos Moreno s’est fait le chantre de ce concept et trouve des oreilles très intéressées auprès des autorités d’un nombre croissant de grandes villes telles Paris, Buenos Aires, Melbourne, Barcelone, Nantes, Toulouse ou encore Edimbourg. Dans toutes ces villes, Carlos Moreno et son équipe de la Chaire eTI (Entreprenariat Territoire Innovation), Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne, élabore des plans très concrets.

C’est la ville du tout en bas de chez soi. Comment ? En repensant les fonctions des immeubles et des espaces selon le jour, l’heure et la saison afin que les lieux changent d’usage et proposent divers ser- vices sans multiplier les constructions (surtout là où il y a pénurie de terrain).

A l’instar des voitures qui passent la plupart de leur temps à l’arrêt dans des parkings, combien de surfaces restent des heures, des jours voire des semaines entières sans aucun utilisateur? Vus sous l’angle du surface sharing, beaucoup de bâtiments disposent d’un énorme potentiel. La réponse proposée par Carlos Moreno est dans la mixité fonctionnelle, c’est-à-dire la coprésence de diverses fonctions urbaines dans un même périmètre afin d’assurer une complétude de la qualité de vie. Souhaitable et souhaitée à l’échelle du quartier, la mixité fonctionnelle peut également s’appliquer à un bâtiment ou un équipement public. Moyennant quelques aménagements, la discothèque peut ainsi se transformer en salle de sport la journée, la cour d’école en terrain de jeu ouvert le week-end, l’école elle-même en centre de formation continue les soirs et les week-ends, les bibliothèques en espaces de coworking, etc. Cette mixité fonctionnelle à l’échelle d’une infrastructure optimise son usage et diversifie les potentiels du quartier.

« UNE RÉFLEXION SUR LES TEMPS DE LA VILLE »

Afin que la ville du quart d’heure fonc- tionne, il faut également introduire les fonctionnalités essentielles dans des rayons successifs et imbriqués de 15 minutes: pas un pied d’immeuble sans son épicier, son boulanger, son dentiste, etc. Ce qui sous-entend que ces services préalablement identifiés bénéficient d’une priorité d’accès au marché immobilier. La démarche doit également permettre de lu er contre la gentrification, les élitismes et les effets d’agrégation des mêmes secteurs socio-économiques sur un même territoire. Cette approche empêche une construction spontanée d’une ville dans laquelle les ressources financières consti- tuent la seule porte d’entrée. Le professeur franco-colombien vend sa ville du quart d’heure comme un antidote à la métropole brutale et accélérée. L’éloge de la décélération et de la démobilité a trouvé un écho avec la pandémie de Covid-19 qui a permis à la ville du quart d’heure de s’autoréaliser. La révolution de l’organisation du travail, de nos manières de nous déplacer et de faire nos courses accélère la bataille de la proximité.

Au-delà du slogan, c’est une réflexion sur les temps de la ville qui est proposée et ce, non seulement dans l’hypercentre mais également – et surtout – dans le périurbain. La création de micro-quartiers et d’un ensemble urbain polycentrique doit également s’accompagner d’une densification des réseaux de transports publics rapides. Pouvoir accéder à une gare RER ou une station de métro en moins d’un quart d’heure devrait réduire l’a rait des déplacements en véhicule individuel.

Alors que les modes de consommation évoluent, les acteurs de la grande distribution mènent aussi la réflexion. Les centres commerciaux démesurés ont-ils encore lieu d’être? La surface globale des centres commerciaux peut-elle être réduite ? Les petites enseignes vont-elles résister au shopping en ligne ? Auchan et Carrefour qui comptent parmi les majors européens et disposent par conséquent d’un énorme parc immobilier ont déjà créé de nouvelles entités chargées de repenser les centres commerciaux. Le mot d’ordre ? La mixité ! Logements, bureaux et infrastructures de service doivent participer à une régénération urbaine pour redonner vie à des quartiers jour et nuit, semaine et week-end.

Articles en relation

Et si nos villes se vidaient?

Urbanisme – Combattre les îlots de chaleur

chantiersmagazine.ch machines.chantiers.ch job.chantiers.ch