Cinquante ans de progrès en cinq ans!, telle est la promesse de campagne qui mène Juscelino Kubitschek à la présidence du Brésil en 1956. L’idée maîtresse qui doit symboliser ce progrès express est la création de Brasilia, une nouvelle capitale au centre du pays; une ville urbaine, idéale et égalitaire. Trois hommes, le président, l’urbaniste (Lucio Costa) et l’architecte (Oscar Niemeyer) se lancent ainsi dans cette incroyable entreprise et inaugurent officiellement la ville en forme d’avion 1000 jours seulement après le début des travaux. Diplomates et fonctionnaires d’Etat se voient contraints de quitter les plages dorées de Rio de Janeiro et de s’installer dans une cité encore pratiquement vide. Avant eux, des milliers d’ouvriers venus, de gré ou de force, des quatre coins du pays, avaient été installés à la va-vite. Initialement conçue pour 500 000 habitants, la ville en compte aujourd’hui deux millions et demi dont un bon nombre d’indigents attirés par l’espoir d’une amélioration de leur condition économique. Le centre-ville est figé, le plan pilote étant classé au Patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO depuis 1987. En dehors, les cités périphériques imaginées à l’origine n’ont jamais été construites mais une favela, des banlieues plus ou moins populaires de barres sans âme et une zone résidentielle aisée et protégée offrent un résumé cynique de la société brésilienne actuelle.

Impossible d’imaginer une expérience similaire sous nos latitudes et encore moins à notre époque. Les villes suisses qui souhaitent promouvoir un développement placent leurs projets sous l’égide du dialogue et de la participation active des riverains et futurs habitants. Ceux qui ont seulement esquissé l’envie d’imposer leur vision en ont fait les frais.

Lors de la 27 rencontre de la communauté d’intérêt Smart-City Suisse, qui a eu lieu le 30 septembre dernier à Lausanne, quatre exemples de cocréation ont ainsi été présentés. De l’urbanisme participatif pour le quartier Grosselin du PAV (Praille Acacias Vernets) ou relationnel pour le concept «cœur de ville» à Nyon, à l’émergence d’un ADN voué à l’innovation industrio-socio-culturelle pour la blueFACTORY de Fribourg, en passant par le fourmillement d’une plateforme interactive et participative dédiée au développement durable de la ville de Montreux. Partout, des citoyens s’impliquent, participent à des ateliers de réflexion, des ateliers créatifs, des journées de travail et d’échange, accompagnés et encadrés par des spécialistes. Cette nouvelle forme d’élaboration de la ville, similaire à celle de Kubitschek dans les objectifs (la ville idéale), mais à l’opposé par la méthode, vise à renforcer la cohésion sociale et le sentiment d’appartenance ainsi qu’à instaurer une citoyenneté responsable, notamment quant aux questions de durabilité. La difficulté étant de maintenir l’implication de la population dans le temps.

Les processus, bien sûr, sont souvent longs et harassants. Seuls les plus persévérants, ou les «immo-désespérés», ceux qui , las d’infinies recherches s’accrochent encore à l’espoir d’obtenir l’attribution d’un logement dans un nouveau quartier, poursuivent l’expérience jusqu’au bout. Aujourd’hui comme hier, les idéaux se heurtent à des réalités plus terre à terre.