Pratiquement tous les bâtiments d’habitation suisses disposent d’un chauffage tandis que très peu sont équipés d’un système de refroidissement mécanique. Cette norme de la technique du bâtiment est remise en question dans le cadre du réchauffement prévu dans le contexte du changement climatique. À l’avenir, le refroidissement des bâtiments d’habitation devrait prendre une grande importance et contribuer considérablement aux besoins énergétiques des bâtiments en plus du chauffage: c’est ce que constate une étude de la Haute École de Lucerne (HSLU) qui formule une série de recommandations à l’attention des planificateurs.

Les bâtiments d’habitation suisses sont chauffés pendant la saison hivernale et en cas de besoin pendant la saison intermédiaire. La chaleur de chauffage est ainsi requise pendant une longue période de l’année. Dans le contexte de cette expérience quotidienne, on pourrait s’attendre à ce que l’augmentation de la température prévue pour les prochaines décennies dans le cadre du réchauffement climatique devrait réduire les besoins en chaleur de chauffage et les besoins énergétiques correspondants. On aimerait croire que l’augmentation de la température extérieure moyenne pourrait même contribuer à réduire les besoins énergétiques du parc immobilier suisse. Le changement climatique aiderait alors, pour le formuler avec pertinence, à atteindre les objectifs d’économie d’énergie dans le domaine du bâtiment.

Une équipe de chercheurs de l’Institut de la technique du bâtiment et de l’énergie (IGE) de la Haute École de Lucerne – Technique & Architecture, a étudié les conséquences du changement climatique sur les bâtiments d’habitation. L’étude confirme que les besoins en énergie de chauffage seront en baisse dans le cadre du changement climatique. Il ne s’agit toutefois que d’une face de la médaille. En raison de l’augmentation des températures, les logements devront à l’avenir être de plus en plus climatisés comme l’explique le coauteur de l’étude Gianrico Settembrini, directeur du groupe de recherche sur la construction et la rénovation durable de l’IGE: «Les nouvelles constructions d’aujourd’hui sont si bien isolées qu’une augmentation de la température extérieure moyenne ne réduit que très peu les besoins en énergie de chauffage. En revanche, l’augmentation des températures dans le contexte du changement climatique augmente significativement les besoins en refroidissement et donc, en énergie». Settembrini, architecte diplômé de l’ETH/SIA a rédigé une étude avec une équipe de chercheurs de la HSLU. Ce travail a été financé par les Offices fédéraux de l’énergie (OFEN) et de l’environnement (OFEV).

Analyse de deux constructions anciennes et récentes

Il y a déjà un moment que les experts en bâtiment de la Haute École de Lucerne – Technique & Architecture ont étudié les conséquences du changement climatique. Mais à l’époque, leur étude se basait sur des immeubles de bureaux. Ils en étaient arrivés à la conclusion qu’il fallait tenir compte de ces conséquences lors de la conception des systèmes de refroidissement (voir l’article spécialisé de l’OFEN «Les planificateurs et le changement climatique» consultable sur www.bfe.admin.ch/CT/gebaeude). La nouvelle étude se penche désormais sur les constructions d’habitation. La technique du bâtiment y jour un rôle moins central que pour les bâtiments administratifs. L’accent se porte plutôt sur la façon dont les architectes planificateurs peuvent agir de manière proactive contre l’augmentation de la température moyenne.

Les chercheurs lucernois ont étudié les effets du changement climatique sur la base de quatre immeubles d’habitation existants (voir les photos 01 à 04): deux nouvelles constructions (construction massive conforme au standard Minergie; construction hybride progressive en bois) et deux bâtiments anciens, dont un est classé monument historique. Pendant la première phase du projet, les scientifiques ont choisi un site à Bâle pour tous les bâtiments afin de comparer les valeurs calculées. Ils ont fondé leurs calculs sur le scénario climatique moyen (A1B) du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sur la période de 2045 à 2074. Selon ce scénario, cette période de 30 ans présentera une augmentation moyenne de la température extérieure de 2° C en Suisse par rapport à la période de 1980 à 2009. Les résultats de l’étude montre une différence considérable entre les nouvelles constructions et les anciennes. S’il est ici question de la «période 1980/2009» ou de la «période 2045/2074», on entend la valeur médiane de la période de 30 ans correspondante.

Augmentation massive des besoins en refroidissement dans les nouvelles constructions

Les effets de l’augmentation de la température sont particulièrement prononcés sur les nouvelles constructions. Les scientifiques ont sélectionné un bâtiment construit en 2017 selon le standard Minergie en tant que bâtiment représentatif du standard actuel. Les simulations ont donné le résultat suivant: de la période 1980/2009 à la période 2045/2074, les besoins en énergie de chauffage passent de 8,6 à 5,8 kWh/m2a (c’est-à-dire -2.8 kWh/m2a, resp. -32%) tandis que les besoins en froid passent de 0,4 à 3,0 kWh/m2a (c’est-à-dire +2.6 kWh/m2a resp. +703%). Cela signifie: tandis que la demande en refroidissement était encore pratiquement négligeable par rapport à la demande en chauffage sur la période 1980/2009, la demande en refroidissement s’élèvera à plus de la moitié de la demande en énergie de chauffage pour la période 2045/2074. En clair: la demande en chaleur de chauffage devenue caduque (-2.8 kWh/m2a) s’ajoute à la demande en refroidissement (+2.6 kWh/m2a).

Le résultat obtenu en intégrant un été très chaud entre 2045 et 2074 est encore plus pertinent: les besoins en refroidissement (8.2 kWh/m2a) dépasseraient même ceux en chaleur de chauffage (5.0 kWh/m2a). Ce transfert est également évident si l’on tient compte du nombre d’heures de surchauffe, c’est-à-dire les heures pendant lesquelles les valeurs définies par la norme SIA 180 (2014) pour une habitation confortable sont dépassées. Si l’on s’attend actuellement (période de 1980 à 2009) à 200 heures de surchauffe lors d’un été très chaud, ce chiffre s’élèverait à pratiquement 900 lors d’un été très chaud sur la période de 2045 à 2074, ce qui correspond à environ un cinquième de la saison d’été totale. Les besoins supplémentaires en refroidissement résultant de l’îlot de chaleur urbain (une conséquence de la construction dense et de la forte imperméabilisation des sols) ne sont pas encore pris en considération dans les valeurs mentionnées ci-dessus. On s’attend également à une nette augmentation des besoins en refroidissement dans certaines régions plus chaudes comme le Tessin. Entre 2045 et 2074 par exemple, on s’attend à une année très chaude à Lugano avec 1.400 heures de surchauffe, c’est-à-dire un tiers de la saison d’été totale.

Les constructions anciennes repoussent la chaleur

Les simulations des scientifiques de la HSLU dans les bâtiments anciens, généralement nettement plus mal isolés, montrent une autre image: même si les besoins en chauffage baissent et ceux en refroidissement augmentent dans le cadre du changement climatique, les ordres de grandeur sont très différents. Dans le «bâtiment ancien standard»,  les besoins en chauffage passent de 119,5 à 97,0 kWh/m2a (-22.5 kWh/m2a resp. -19%), tandis que les besoins en refroidissement passent de 0.0 à 0.7 kWh/m2a, une augmentation insignifiante. Les besoins en chaleur de chauffage restent de loin supérieurs aux besoins en refroidissement. Le deuxième bâtiment ancien présente un résultat similaire («bâtiment ancien protégé»). Constat des chercheurs de la HSLU le concernant: «Les bâtiments anciens présentent des valeurs nettement meilleures que les nouvelles constructions en termes de confort en été. Cela est dû aux caractéristiques typologiques, essentiellement à la part de fenêtres, du bâtiment correspondant.

La conclusion est la suivante: dans les bâtiments anciens, les espaces habitables resteront confortables même sur la période 2045/2074. Dans les constructions récentes en revanche, le besoin de refroidissement connaitra une augmentation massive par rapport à aujourd’hui (période 1980/2009). Ce besoin pourra être assuré par des systèmes de refroidissement mécaniques, ce qui implique une augmentation des besoins énergétiques. Au moins une partie des besoins en refroidissement pourront être couverts sans énergie supplémentaire si les habitants ouvrent les fenêtres le soir et/ou le matin en vue de bénéficier des températures plus basses. Cela implique bien sûr que le bruit de la rue ou le risque de cambriolage ne les en empêche pas.

Le comportement des habitants est primordial

Le comportement des habitants est un des facteurs essentiels pour maitriser les besoins en refroidissement supplémentaires prévisibles. Dans leurs conclusions, les chercheurs de la HSLU recommandent de concevoir des systèmes de protection solaires faciles à utiliser. Ils arrivent au résultat remarquable qu’une protection solaire efficace et la ventilation naturelle pourront permettre de couvrir tous les besoins en climatisation supplémentaires dans les constructions récentes, même au cours des années très chaudes de 2045 à 2074. «Le résultat des simulations montre que le confort dans les bâtiments d’habitation sera suffisant, même pendant les années chaudes de cette période, grâce à une bonne ventilation et à l’utilisation optimale de la protection solaire.»

Dans la mesure où on ne peut pas partir du principe que les habitants s’occupent toujours de manière optimale de la température ambiante ou ne puissent s’en occuper, les chercheurs de la HSLU formulent une série de suggestions et de recommandations à l’attention des architectes et des planificateurs. Ils considèrent l’automatisation des systèmes solaires électriques comme judicieuse. L’automatisation des fenêtres pour favoriser la ventilation naturelle serait «une approche intéressante», écrivent les chercheurs. Les systèmes de ventilation mécaniques ne devraient pas être équipés pour l’hiver comme c’est le cas aujourd’hui mais de telle sorte qu’ils puissent «réagir de manière appropriée à l’été».

Mesures préventives en présence de grandes fenêtres

Dans la mesure où les grandes fenêtres dans les nouvelles constructions augmentent considérablement les besoins de refroidissement, les scientifiques y voient un important point de réflexion pour les planificateurs (qualité, orientation, surface, possibilités d’ouverture, ombrage, etc.). «Réduire le nombre de fenêtres pourrait dès aujourd’hui, et encore plus à l’avenir, améliorer considérablement le confort et le bilan énergétique des constructions d’habitation», écrivent les scientifiques et ajoutent: «en raison de l’immense influence des fenêtres sur les besoins énergétiques et le confort, des normes ou des prescriptions spécifiques semblent envisageables. Une part extrêmement élevée de fenêtres pourrait, par exemple, être associée à des mesures spécifiques visant à assurer le respect des critères de confort. Il pourrait s’agir de règlementations obligatoires de Free Cooling ou de Geocooling.»