Sécurité incendie – Interview

La protection incendie est un domaine complet et encore trop peu connu. Eric Tonicello, ingénieur civil HES/SIA, spécialiste en protection et sécurité incendie depuis plus de 15 ans et directeur de ISI – Ingénierie et Sécurité Incendie Sàrl à Lausanne, fait le point de la situation.

Le secteur de la protection incendie est réputé être cher. Elle est perçue comme étant particulièrement complexe et difficile à mettre en œuvre. La Norme de Protection incendie de l’AEAI (Norme de protection incendie, AEAI, Berne, 2015) constitue le document de base du secteur en Suisse. Son application implique souvent de consentir des investissements non négligeables.

Dans l’ensemble d’une construction, ces coûts sont difficilement quantifiables (en % du coût de construction du CFC 2 par exemple), car très variables d’un projet à l’autre. Ils dépendent notamment de la conception propre à chaque bâtiment, des matériaux utilisés et surtout de la prise en compte proactive, indispensable à une bonne conception et à une maîtrise des coûts, ainsi que des mesures constructives de protection incendie.

Dans le domaine des structures porteuses, l’impact de ces mesures constructives peut cependant être très pénalisant et conduire au doublement des coûts prévus pour la réalisation ou la transformation des éléments de structure (dalles, piliers, etc.). Dans certains cas, ces surcoûts entravent la liberté de projet (architecture, aménagement, décloisonnement des espaces, économicité, etc.) ou peuvent même empêcher des projets de voir le jour.

Chantiers Magazine (CM): La norme ISO 23932 de 2009 définit les principes généraux de la sécurité incendie. Quelle approche adopte-t-elle et qu’en est-il de son application ?

Eric Tonicello (ET) : L’Ingénierie de la Sécurité Incendie (ISI) est une discipline de plus en plus employée dans le monde entier venant à l’appui d’une conception de type « performancielle », c’est-à-dire s’appuyant sur des méthodes d’ingénierie pour déterminer si une conception donnée répond aux objectifs de performance retenus. Cette discipline est relativement jeune et encore peu connue des ingénieurs, architectes et maîtres d’ouvrage (propriétaires, gestionnaires de parcs immobiliers, etc.). La révision de la « Norme de Protection incendie » en 2015 en a explicitement autorisé l’application à plus grande échelle, notamment grâce à l’article 12 : « En protection incendie, il est admis de recourir aux méthodes de preuves en vue d’évaluer le danger et le risque d’incendie, ou les conceptions sur lesquelles repose la sécurité incendie dans un cas particulier, pourvu que les objectifs définis dans la norme de protection incendie soient atteints et que le problème soit considéré dans son ensemble ». La mise en œuvre est régie par la Directive de protection Incendie « Méthodes de preuves en protection incendie ».

CM : Il y a aussi une recommandation de l’ECA.

ET: Oui, dans les cantons romands, la «Recommandation – Méthodes d’ingénierie pour les calculs de résistance au feu de systèmes porteurs – ECA» a été mise au point avec un bureau conseil et éditée par l’ECA Vaud afin de guider l’ingénieur, ainsi que le Responsable d’Assurance qualité Incendie dans leurs démarches.

CM: Comment cet ensemble de normes fait-il évoluer la pratique ?
ET: Cette ouverture normative a permis de mettre en œuvre, lorsque cela est nécessaire, toutes les méthodes de calcul et simulations avancées, disponibles dans l’ensemble des Eurocodes applicables aux structures (EN 1991-1-2 –Eurocode 1 : Actions sur les structures –Partie 1-2: Actions générales –Actions sur les structures exposées au feu, SNV, 2003, EN 1992-1-2 –Eurocode 2: Calcul des structures en béton –Partie 1-2: Règles générales –Calcul du comportement au feu, SNV, 2005; EN 1993-1-2 –Eurocode 3 –Calcul des structures en acier –Partie 1-2: Règles générales – Calcul du comportement au feu, SNV, 2005). Plutôt que d’appliquer des normes de dimension, d’épaisseur d’isolant ou de rapports surfaces/volumes/ nombre de personnes, les simulations nous permettent aujourd’hui d’apporter la preuve du concept proposé.

CM : Qu’en est-il de la formation ?

ET: Bien que cela évolue, la formation est encore à la traîne aujourd’hui. Le cadre législatif ayant évolué, il reste encore un gros effort de formation à faire en Suisse au sein des écoles d’ingénieurs (pour la partie ingénieur civil), ainsi qu’au sein des formation en protection incendie. Dans les formations de niveau Master (Bac +5) de certains pays européens (France, Royaume Uni, Norvège), la sécurité incendie fait l’objet de diplômes sanctionnant une formation longue et complète dans le domaine de la protection et sécurité incendie (Fire Safety Engineering).

Un MAS (Master of Advanced Studies–11⁄2 an en emploi) est en cours de mise en place à l’EPFZ; cela permettra d’avoir des ingénieurs indigènes mieux formés pour les années à venir. Les ingénieurs souhaitant se spécialiser doivent donc suivre cette formation (ou l’équivalent à l’étranger), ou faire leurs armes sur des projets au moyen de nombreuses ressources techniques et documentaires heureusement disponibles.

CM: Dites-nous en plus sur les méthodes d’analyse que vous utilisez.
ET : Les méthodes d’ingénierie avancées – simulations souvent basées sur l’utilisation des méthodes par éléments finis – permettent d’analyser des systèmes complexes combinant plusieurs éléments porteurs, voire un bâtiment dans son entier. Ce concept permet aussi d’ajouter des mesures organisationnelles (formation, organisation de la sécurité en entreprise, etc.) aux mesures constructives et techniques.Elles nécessitent une approche globale qui inclut tous les aspects de la protection incendie, en s’appuyant sur une méthodologie bien définie avec tous les intervenants (architecte, ingénieurs civils et CVSE, maître d’ouvrage, autorité ECA ou Police du feu, voire les utilisateurs/locataires), ainsi que l’ensemble des aspects et paramètres permettant de traduire, en termes d’exigences et d’objectifs de protection, la sécurité incendie. Afin que le concept soit efficace, il faut s’assurer de son respect durant l’exécution des travaux, mais aussi – ce qui est souvent plus délicat – de son application pendant l’exploitation du bâtiment. 